jeudi 12 juin 2008

VIDÉO - Tang Wei dans Lust Caution


Voici les fameuses scènes qui ont été la cause d'une star "abattue en plein vol". À lire l'article CINÉMA - Tang Wei, une actrice chinoise punie pour un rôle de "traîtresse" - Pierre Haski

vendredi 6 juin 2008

VIDÉO - Zapping de Canal + 2007 - Meilleurs moments sur la Chine

Le Monde
International, vendredi, 6 juin 2008, p. 7

INTERNATIONAL

TIANANMEN SEULE LA VILLE D'HONGKONG AUTORISÉE À CÉLÉBRER L'ANNIVERSAIRE

Une famille chinoise d'Hongkong assiste, mercredi 4 juin, aux côtés de dizaines de milliers de manifestants, à la veillée commémorant l'anniversaire du massacre de la place Tiananmen, en 1989, à Pékin. Des manifestations pour la démocratie avaient été réprimées dans le sang par les militaires. Hongkong, qui bénéficie d'un statut de région administrative spéciale (RAS) depuis sa rétrocession à la Chine, en 1997, est le seul endroit en Chine où le souvenir de cette répression est ainsi célébré. A Pékin, mercredi, de nombreux policiers quadrillaient la place Tiananmen, sillonnée par des minibus de la police. Sur cette même place, le 19 mai, alors que la Chine entière se figeait en mémoire des victimes du séisme du Sichuan, une foule de jeunes criaient « en avant la Chine ! » et « vive le Sichuan ! ».

Note(s) :

ANDREW ROSS/AFP

Illustration(s) :

Une famille chinoise d'Hongkong assiste à la veillée commémorant l'anniversaire du massacre de la place Tiananmen (Chine)

© 2008 SA Le Monde. Tous droits réservés.
Le Figaro, no. 19859
Le Figaro, vendredi, 6 juin 2008, p. 11

Sport

JO de Pékin : Laporte joue l'apaisement
OMNISPORTS Le secrétaire d'État aux Sports était hier l'invité du « Talk Orange-Le Figaro ».

David REYRAT

ENTRAÎNEUR du XV de France, Bernard Laporte se signalait par son sens aigu de la formule. Depuis qu'il a revêtu le costume de ministre, il se fait plus discret. Volontairement. « Mon métier est de régler les problèmes, pas de passer à la télévision, justifie le secrétaire d'État. Et des soucis, en ce moment, il y en a...
»

Au premier rang, évidemment, les Jeux olympiques de Pékin. Bernard Laporte s'est rendu sur place, mi-mai, pour rencontrer son homologue, Liu Peng afin de parler « du passage perturbant de la flamme

» à Paris. « Je lui ai dit que cela ne concernait qu'une minorité de Français, que les Français aimaient les Chinois. Il l'a bien compris.
»

Grâce à cette mise au point, «
mais sans s'excuser
», les relations entre les deux pays vont «
mieux
», assure Bernard Laporte. Qui annonce en conséquence la probable présence de Nicolas Sarkozy à la cérémonie d'ouverture. « J'espère que le président de la République y sera. Comme on dit dans mon jargon, ça sent bon...
» Au passage, le secrétaire d'État estime que la Chine « est en train d'évoluer en matière de droits de l'homme
». Et regrette que «
les sportifs soient pris en otages
». «
Ce ne sont pas eux qui vont régler les problèmes politiques...
»

Bernard Laporte n'a pas seulement parlé des JO hier lors du « Talk Orange-Le Figaro ». Il a également évoqué l'extension de Roland-Garros. « J'y suis favorable. J'espère qu'on aboutira à un consensus, car elle est inévitable si la France veut conserver un tournoi du Grand Chelem.
» La concurrence de Madrid se fait, il est vrai, de plus en plus pressante.

Autre sujet d'actualité, la reconnaissance de la spécificité du sport dans le droit européen qui sera «
à l'ordre du jour
» de la présidence française de l'Union européenne. « Je veux obtenir une entorse au droit communautaire
», ne craint pas d'annoncer le ministre. Son souhait ? Imposer des quotas de joueurs nationaux dans les clubs de football ou de rugby. La fameuse règle du 6 + 5 systématiquement rejetée par Bruxelles. Il espère également obtenir « l'interdiction de recruter les joueurs âgés de moins de 16 ans
». Reste à convaincre la Commission européenne, hostile à ces mesures.

Illustration(s) :

Bernard Laporte, hier à 18 heures, dans les studios du Figaro, a évoqué l'extension de Roland-Garros.

Martine Archambault/Le Figaro

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La Croix, no. 38072
Sports, vendredi, 6 juin 2008, p. 19

EN BREF - HANDISPORT

Bucarest-Pékin en fauteuil roulant. Le Roumain Vasile Stoica, un paraplégique de 38 ans, est parti hier pour un parcours de plus de 12 000 km jusqu'à Pékin. Il espère arriver le 31 août en Chine, où il sera engagé dans le marathon des Jeux paralympiques. En 2006, il avait réalisé une traversée de l'Europe en fauteuil.

A Rome, plusieurs chemins mènent à la Chine - Isabelle de Gaulmyn

La Croix, no. 38072 - Monde, vendredi, 6 juin 2008, p. 23
La Chine est à la mode à Rome, mais la diversité des interlocuteurs et spécialistes de ce pays au Vatican est à la mesure de la complexité de la situation de l'Église catholique chinoise. ROME, de notre envoyée spéciale permanente.

Samedi 24 mai, à Rome. Sous un soleil déjà estival, malgré l'heure matinale, une petite foule se presse devant la basilique Sainte-Marie-Majeure. Groupe inhabituel, car ne sont là que... des Chinois. De tous âges, étudiants ou jeunes prêtres, religieuses ou laïcs, en famille ou seuls... Chinois de la Chine populaire, de Hong Kong, de Singapour ou de Taïwan. Certains ont encore le visage ensommeillé, car ils sont partis tôt de Milan, Trévise, Prato, Florence ou Naples. Ils se sont donné rendez-vous pour la Journée de prière pour la Chine, instituée par Benoît XVI, tous les 24 mai. « Toute la Chine catholique de l'Italie est ici », note en riant un jeune salésien chinois, à l'italien impeccable. « Pour la première fois, nous sommes réunis, catholiques officiels ou clandestins », glisse-t-il encore. Le cardinal Ivan Diaz, préfet de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, qui préside la célébration, se réjouit de cette unité exceptionnelle : « Au paradis, il n'y aura ni catholiques officiels, ni catholiques souterrains, parce que nous serons tous fils de Dieu. »

Mais il est rare de voir les Chinois ainsi rassemblés pour parler d'une seule voix à Rome. Car si, depuis Jean-Paul II et surtout Benoît XVI, l'Église de ce pays, et sa réunification, sont l'une des priorités du Vatican, reste à savoir quelle Église. Et quelle Chine.

Ainsi, quinze jours avant, le 6 mai, c'était une Chine très officielle qui s'était retrouvée dans la grande salle d'audience Paul-VI, au coeur du Vatican. Les personnels de l'ambassade de Chine près de l'Italie, ou du ministère chinois des affaires étrangères, à l'origine de cette initiative, assistaient au concert exceptionnel donné par l'orchestre de Shanghaï en l'honneur du pape. Mais parmi les musiciens qui jouaient ce Requiem de Mozart, devant Benoît XVI et sous la statue du Christ ressuscité, combien connaissaient la vraie signification de ce morceau religieux, d'ailleurs magistralement interprété ?

Peu importe, le geste était là, et L'Osservatore Romano, le quotidien édité par le Saint-Siège, a choisi de célébrer l'événement, le lendemain, en publiant, en une, le discours du pape en chinois.

Plus discrets, sur le Janicule, sous les cyprès des jardins de l'Urbanienne, l'université pontificale pour la mission, de jeunes étudiants chinois se promènent, un livre d'étude à la main. Ils habitent ici, et se fondent parmi les jeunes religieux ou religieuses de tous pays qui viennent étudier dans cette université pontificale rattachée à la Congrégation pour l'évangélisation des peuples. Il y a deux ans, on avait émis l'idée de réserver un bâtiment, un « collège » spécialement pour les futurs prêtres chinois. Mais le projet fut abandonné : trop voyant, encore. Aujourd'hui, un religieux, qui a lui-même longtemps été en Chine, fait le lien entre tous ces étudiants, dans la plus grande discrétion, donc...

Pourtant, le 21 mars dernier, Vendredi saint, c'est devant les caméras du monde entier que s'est déroulé le chemin de croix du pape, sur une méditation écrite par l'évêque de Hong Kong, le cardinal Joseph Zen, avec de multiples allusions au martyre de l'Église du silence en Chine, sans que le gouvernement de ce pays ne semble en prendre ombrage. D'ailleurs, à peu près au même moment, de passage à Rome lors de la Semaine sainte, un jeune manager chinois, qui travaille auprès d'entreprises multinationales, prenait une heure sur son agenda plus que chargé, pour aller rendre visite à un cardinal à la retraite, auquel le lie une longue amitié. Dans sa petite valise, quelques plantes médicinales ramenées de son pays spécialement pour le prélat. Ce cardinal n'est pas le seul à s'intéresser à la Chine, nombre d'entre eux ont ici leur propre réseau. Sans parler des congrégations religieuses bien implantées en Chine, verbites ou jésuites par exemple, qui font aussi venir des jeunes religieux de ce pays, et transmettent leurs informations à l'entourage du pape...

« C'est que la Chine est elle-même encore très divisée sur le problème religieux, observe le P. Bernardo Cervellera, directeur de l'agence de presse Asianews. Dans le même temps, vous avez le ministère des affaires étrangères qui se réjouit de la lettre envoyée par le pape aux catholiques de Chine, et le responsable de l'association patriotique qui se répand en critiques dures sur le Vatican ! » Le P. Cervellera est lui-même l'un des éléments de cette complexité sino-romaine. Dans le quartier tranquille du Monteverde, où sont encore installées nombre de maisons religieuses, il mène une petite équipe de jeunes journalistes, dans des locaux installés au fond du jardin de l'Institut pontifical pour les missions étrangères, dont il dépend.

En quelques années, ce missionnaire, à la réputation de fonceur, a créé Asianews, l'une des principales sources d'information sur l'Église en Asie et l'Asie au Vatican. Une agence de presse que ce passionné de l'Asie a eu l'idée, en 2003, de mettre sur le Web : le très sérieux bulletin réservé à une petite audience de spécialistes est alors devenu un site visible du monde entier, en italien, traduit simultanément en anglais, et... en chinois. Ce site qui fonctionne grâce aux informations d'une trentaine de correspondants installés en Asie, et traite aussi d'économie ou de social, est très vite devenu un instrument précieux pour tout ce qui concerne la Chine. Il faut dire que Bernardo, comme on l'appelle ici, y a laissé une partie de son coeur. Il n'est pas rare qu'il diffuse des informations de première main, une rencontre secrète à Pékin, ou la prochaine ordination d'un évêque chinois.

Un succès qui peut d'ailleurs en gêner d'autres, à Rome. Dans les couloirs du Vatican, on reproche à Asianews son manque de diplomatie, ses articles négatifs à l'encontre de la Chine, et le parti pris pour les « Chinois de l'ombre », ceux qui refusent de reconnaître l'Église officielle... Critiques que le P. Cervellera connaît, mais balaie d'un grand geste : « En Occident, il y a un faux irénisme, qui veut le dialogue avec la Chine et les rapports diplomatiques à tout prix, et qui cherche à cacher les persécutions. » Il ne faut pas compter sur le P. Cervellera pour taire ce qui fâche. On est loin, ici, de la diplomatie très prudente de la Secrétairerie d'État. On a parfois pu dire que cette pluralité d'interlocuteurs à Rome, sur la Chine, finissait par paralyser l'action du pape. Mais après tout, lui-même profite de cette diversité, pour souffler habilement le chaud et le froid avec l'empire du Milieu : le concert offert par le gouvernement, mais aussi le chemin de croix écrit par celui qui fut et reste l'un de leurs principaux opposants.





Encadré(s) :

La lettre aux catholiques chinois

Dans une lettre, rendue publique le 6 juillet 2007, Benoît XVI dit vouloir en finir avec la séparation entre Église souterraine et officielle : il ne peut y avoir qu'une Église en Chine. Il explique le rôle central de l'évêque, « principe et fondement visible de l'unité dans l'Église particulière », à la fois en communion avec les autres évêques, et avec le pape. En effet, l'union de cet épiscopat avec le pape est constitutive de l'Église catholique et il n'est pas possible de constituer « une Église indépendante ». Pour assurer cette union, le pape rappelle que sa porte est ouverte à tous les évêques qui souhaiteraient marquer leur lien avec le pape, même ceux nommés sans l'accord du Saint-Siège. Inversement, il supprime toutes les facultés qui avaient été données à l'Église clandestine à l'époque de la répression. Mais la condition pour que cette rupture se résorbe, c'est que, rappelle-t-il enfin, l'Église jouisse de la liberté de nomination des évêques.

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Pékin prédit la fin de ses surplus commerciaux record - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20187 - International, vendredi, 6 juin 2008, p. 7
Les douanes chinoises assurent que la hausse du prix des matières premières, l'appréciation du yuan et la baisse de la demande américaine vont entraîner, sur 2008, un recul de l'excédent commercial chinois.

« La brutale tendance à la croissance de l'excédent et les déséquilibres commerciaux devraient être renversés », selon les douanes.

L'information devrait ravir les grands partenaires commerciaux de la Chine. Hier, l'administration chinoise des douanes a indiqué dans un communiqué que l'excédent commercial du pays devrait enregistrer, pour la première fois en cinq ans, un recul sur l'ensemble de 2008.

« Il y a une nette tendance à la baisse depuis le début de l'année. Sur toute l'année, on prévoit la poursuite du ralentissement des exportations et de l'accélération des importations », affirme l'administration sur son site Internet.

Après avoir bondi de 50 % l'an dernier pour atteindre 262,2 milliards de dollars en 2007, le surplus commercial chinois aurait diminué de 11 % au premier trimestre par rapport aux trois premiers mois de 2007. Malgré une bonne performance des exportations en avril, l'excédent commercial serait toujours en recul de 7,9 % sur les quatre premiers mois de l'année, par rapport aux volumes enregistrés sur la même période en 2007. « La brutale tendance à la croissance de l'excédent et les déséquilibres commerciaux devraient être renversés », concluent les douanes à l'intention des Etats-Unis et des pays européens, qui accusent régulièrement Pékin de manipuler ses politiques monétaire et fiscale pour favoriser la diffusion dans le monde des produits « made in China ».

Confirmée par les douanes chinoises, cette tendance est pressentie depuis quelques semaines par les économistes étrangers, qui pointent les multiples facteurs nationaux et internationaux à l'origine de ce renversement. Les exportateurs chinois sont d'abord pénalisés par l'appréciation du yuan face au dollar (4,2 % au premier trimestre), l'impact des réglementations freinant les exportations de produits à faible valeur ajoutée, la baisse de la demande américaine ou encore l'envolée du coût des importations de matières premières (pétrole). « Ces tendances ne vont probablement pas changer à court terme », reconnaît l'administration des douanes chinoises. Si l'apaisement de l'excédent commercial chinois pourrait soulager les autorités dans leur lutte contre l'inflation, il risque de relancer dans le pays le débat sur le rythme d'appréciation du yuan.

Des exportateurs inquiets

Décrivant leur « agonie », beaucoup d'exportateurs pressent le gouvernement de leur redonner un peu d'air en freinant la hausse de leur devise par rapport au billet vert. Ils pourraient être entendus. « Alors que la Chine bénéficierait d'une accélération de l'appréciation, il nous semble désormais clair que le consensus a évolué à Pékin et qu'il n'est plus question d'un rythme de hausse aussi rapide qu'au premier trimestre », expliquait hier dans une note Stephen Green, l'économiste en chef de la Standard Chartered à Shanghaï. Selon ses calculs, 1 dollar devrait valoir 6,55 yuans à la fin de l'année et non plus 6,35 yuans comme il l'avait précédemment anticipé.

YANN ROUSSEAU

Note(s) :

DE NOTRE CORRESPONDANT À PÉKIN.

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ÉDITORIAL - Les cinq leçons de Sharon Stone - Jean-Marc Vittori

Les Echos, no. 20187 - Idées, vendredi, 6 juin 2008, p. 14

Dans l'ancien temps, les starlettes devenaient des vedettes à Cannes en dévoilant plus ou moins leur intimité aux paparazzis sur la plage. Mais cette époque est révolue. Maintenant, tout le monde a déjà vu leurs courbes au cinéma, sur des affiches de pub ou dans la presse people. Pour faire monter leur dernière courbe cachée, celle de leur notoriété, les vedettes doivent user d'autres armes.

Cette année, Sharon Stone a tenté le verbe. La pimpante quinquagénaire a expliqué que le terrible tremblement de terre subi par la Chine début mai avait peut-être quelque chose à voir avec un mauvais karma, et suggéré que ce karma pourrait venir du fait que les Chinois n'avaient pas été « gentils » avec les Tibétains.

Regardée des millions de fois sur des sites Internet comme YouTube, sa déclaration a fait l'effet d'une bombe. Des internautes chinois furieux se sont attaqués non seulement à l'actrice, mais aussi à Christian Dior, dont elle est l'une des icônes publicitaires. Le groupe Christian Dior en Chine a aussitôt dénoncé les propos de son ambassadrice. Le groupe LVMH, qui contrôle les activités parfums et cosmétiques de Dior (et possède « Les Echos »), a pressé la star de clarifier ses propos. Réagissant avec son instinct basique, celui du portefeuille, l'actrice au QI de 154 a présenté ses excuses. Cette petite histoire est en réalité riche de leçons. On en retiendra cinq.

D'abord, tout ce que vous dites peut désormais être retenu contre vous. Nous sommes sortis de la géométrie euclidienne où nous pouvions mener des vies parallèles sans que jamais elles se rejoignent. Avec Internet, nous vivons dans un monde « à courbure négative », où les parallèles finissent toujours par se rencontrer. Il devient de plus en plus difficile de cloisonner les différents compartiments de son existence. Un battement de lèvres au Festival de Cannes peut déclencher un ouragan chinois sur les ventes de Dior. Un « casse-toi pauvre con » en principe réservé à un visiteur bougon du Salon de l'agriculture par Nicolas Sarkozy devient un événement politique majeur s'il est saisi par un portable qui traîne à ce moment-là.

Cette exigence de cohérence, qui peut tourner au « political correctness », dans tout ce qu'il a de plus horripilant, ne s'applique pas seulement aux individus. Les entreprises y sont, elles aussi, de plus en plus tenues. A la périphérie de leurs activités, comme les bonnes oeuvres (une innocente donation à l'association Reporters sans frontières peut suffire à susciter l'inquiétude, comme ce fut le cas pour Sanofi-Aventis). Mais aussi dans des fonctions cruciales comme le marketing, ainsi que le montre l'affaire Stone.

Deuxième leçon : le boycott est une menace crédible, contrairement à ce que soutiennent nombre d'experts et de dirigeants d'entreprise. Le « risque de réputation » est bien réel, et donc aussi le pouvoir des organisations non gouvernementales, ou de ceux qui les manipulent parfois. Carrefour vient d'en faire l'expérience en Chine. Dans un monde de plus en plus concurrentiel, un simple tassement des ventes pour cause d'image abîmée peut se traduire par une croissance et des profits durablement amputés, un management fragilisé. Au-delà, une grande entreprise disparaîtra peut-être un jour pour cause de boycott des consommateurs, tout comme le cabinet Arthur Andersen a péri dans les vagues tumultueuses du scandale Enron.

Troisième leçon : la morale s'arrête là où commence l'argent. Pas question pour une entreprise de défendre le droit à la libre expression, fût-ce pour dire des âneries. Et quand la top-model Kate Moss avait été montrée à la une du « Daily Telegraph » en train de se faire une ligne de cocaïne, les entreprises dont elle était l'égérie, comme H&M ou Burberry, ont immédiatement rompu leurs contrats. Mais la belle rebelle a vite retrouvé d'autres sponsors, et certains des anciens ont regretté leur rupture... L'entreprise est là pour rapporter de l'argent à ses actionnaires, pas pour faire de la politique ou de la philosophie. C'est bien sûr évident, mais c'est néanmoins utile de le rappeler en ces temps où fleurissent les discours sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Comme l'explique de manière limpide l'ancien ministre du Travail de Bill Clinton, Robert Reich, dans son dernier livre, « Supercapitalisme », l'implication des entreprises dans ce domaine se limite à la bonne volonté, toujours fragile, et au minimum nécessaire pour maîtriser le « risque de réputation » et modeler leur image.

Quatrième leçon, et c'est ici que les choses se compliquent : cette montée du politiquement correct et de l'exigence de cohérence totale pourrait finir par peser sur l'innovation, alors que notre société sera de plus en plus une société de projets et de créations. Pour inventer, pour trouver de nouvelles voies, il faut lancer des milliers d'idées absurdes jusqu'au jour où l'une d'entre elles se révèle féconde. Bien sûr, la bourde de Sharon Stone n'aurait pas changé la face de la physique moderne. Mais, si un lointain descendant de Galilée émet un jour une hypothèse juste sur le fonctionnement de l'univers, mais contraire à telle religion, telle culture ou telle philosophie, devra-t-il présenter ses excuses ? Son université ou son entreprise devra-t-elle l'évincer pour rassurer donateurs ou clients ? Dans un monde plus ouvert, plus transparent, les hérésies créatrices risquent d'être de plus en plus difficiles à accepter.

Ce qui amène à la cinquième leçon, la plus politique et aussi la plus inquiétante : si la démocratie cède parfois le pas devant la puissance du marché, le marché, lui, se plie à la logique de la dictature. Hier, la Chine avait déjà réussi à dompter les moteurs de recherche américains Yahoo! et Google, mais c'était sur son territoire. Aujourd'hui, la puissance du marché chinois pourrait devenir une arme politique efficace dans le monde entier. A long terme, la liberté économique sans la liberté politique n'est qu'une illusion. Ce n'est pas une raison pour que Sharon Stone n'apprenne pas à tourner sa langue sept fois dans sa bouche.

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MEDIA - Sinoptic, le site qui relie la Suisse à la Chine - Frédéric Koller

Le Temps, no. 3187 - Société, jeudi, 5 juin 2008
Au fil des ans, l'air de rien, il s'est imposé comme le Monsieur Chine de la Suisse romande. Gérald Béroud, 50 ans, créait, il y a tout juste dix ans le site internet d'information Sinoptic. Très vite, cette plate-forme de qualité sur les relations entre la Suisse et la Chine a trouvé son public et s'est imposée comme la référence incontournable dans ce domaine.

«A l'origine, il n'y avait rien en Suisse pour centraliser l'information sur la Chine que ce soit dans les domaines politique, économique ou autres. L'idée de créer un tel site captivait beaucoup de monde, mais personne n'était prêt à le financer. Plutôt que perdre mon temps en démarches vaines, j'ai décidé de le faire moi-même. Je n'aurais jamais pensé qu'il connaîtrait un tel développement.»

Aujourd'hui, Sinoptic accueille 24 000 visiteurs par mois et plus de 200000 requêtes. Les utilisateurs sont Suisses, mais également Français, Canadiens ou Belges. Le site satisfait des intérêts très divers. «Il répond aussi bien à la demande des diplomates que des hommes d'affaires, des étudiants de chinois, des politiciens ou des journalistes.»

Sinoptic est d'abord un agrégateur d'informations. L'une de ses forces a été de mettre en valeur les revues de presse fournies par les services diplomatiques suisses de Pékin, Shanghai, Hongkong et, plus récemment, de Canton. Il fournit également de nombreux services pratiques pour les personnes qui veulent se rendre en Chine.

Sociologue de formation, spécialiste des toxicomanies, Gérald Béroud a débuté des études de chinois en 1989. Il ne cesse depuis de sillonner le pays. Sinoptic ne lui rapporte pas un sou. Il refuse la publicité pour «préserver l'atmosphère» du site et ne bénéficie d'aucun soutien financier. C'est par contre une excellente carte de visite. «Tout ce que je sais faire est dans le site.» Ses revenus, Gérald Béroud les assure par ses travaux de traduction, de création de site et l'organisation de visites en Chine pour des hommes d'affaires ou des politiciens.

Lutte permanente

Auréolé d'une excellente réputation cet amoureux de la Chine n'en doit pas moins se battre pour se faire accepter dans les visites officielles de ministres suisses en Chine. «C'est agaçant de devoir à chaque fois réexpliquer ce que je fais.» Parce qu'il travaille avec la Chine, certains croient que c'est la fortune au bout du chemin. «Mon budget est de 150000 francs par an. C'est une lutte permanente. Rien n'est certain.»

La fréquentation du site augmente en fonction de l'actualité. Lors de la crise du Sras, en 2003, par exemple, ou des récents événements du Tibet. Gérald Béroud regrette à ce propos la culture de l'affrontement plutôt que de débat sur cette question en Suisse. Modeste, discret, il aime à citer ce dicton chinois: «Homme craint la renommée comme le cochon de devenir gras.» Un sage principe qui devrait lui assurer dix nouvelles années de succès.

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Les Chinois éprouvent attirance et méfiance envers la France - Jean-Christophe Ploquin

La Croix, no. 38071 - Monde, jeudi, 5 juin 2008, p. 6
Les jeunes Chinois conservent une bonne image de la France même si leur patriotisme a souffert de l'épisode du passage mouvementé de la flamme olympique à Paris en avril. C'est le constat posé avant-hier soir par le professeur Jiang Changjian, de l'université Fudan de Shanghaï.

Intervenant dans le cadre d'une conférence organisée par la Fondation pour l'innovation politique, l'École normale supérieure et La Croix, il a détaillé les résultats d'un sondage effectué auprès de 4 300 jeunes dans dix grandes villes de Chine, entre le 25 avril et le 11 mai.

Globalement, la France bénéficie d'une grande notoriété et d'un réel pouvoir d'attraction en Chine. Un tiers des jeunes interrogés déclarent utiliser des produits français. Les films produits dans l'Hexagone bénéficient d'une très bonne diffusion et sont considérés comme son principal vecteur culturel. Le français est la seconde langue étrangère la plus apprise, derrière l'anglais. L'Hexagone apparaît aussi en tête des destinations rêvées.

Le classement est moins favorable dans les secteurs de l'économie et de la politique internationale. Les Français sont considérés comme moins audacieux que les Allemands dans les domaines de haute technologie. Et dans le concert des nations, ils sont perçus comme s'ingérant trop souvent dans les affaires d'autrui.

Invité pour apporter la contradiction à Jiang Changjian, le sinologue Jean-Luc Domenach a souligné le risque d'une vision trop idyllique des relations franco-chinoises, évoquant leur « déclin ». « Les deux pays ont moins besoin l'un de l'autre que dans les années 1970-1980, a-t-il insisté, et tous deux vérifient davantage l'efficacité économique de leurs relations politiques. »

Devant 150 personnes comprenant une trentaine d'étudiants chinois, il a aussi souligné la propension des Chinois à penser que « les nationaux sont détenteurs de la vérité sur leur propre pays ». « Or, c'est faux. On peut critiquer son pays sans perdre la face », a-t-il ajouté.

À l'inverse, certains des étudiants chinois présents ont applaudi Jiang Changjian lorsqu'il énonçait une vision patriotique. « Quand il y a une atteinte aux principes de souveraineté et d'unité de la Chine, 80 % des Chinois sont choqués et protestent », a martelé le professeur, laissant entendre que l'organisation des Jeux olympiques s'inscrit totalement dans cette affirmation de souveraineté et d'indépendance.

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jeudi 5 juin 2008

PORTRAIT - Xie Qihua, l'aciériste - Tristan de Bourbon

Le Soir 1E - FORUM, jeudi, 5 juin 2008, p. 24
Xie Qihua dirige Baosteel, le premier aciériste chinois et numéro cinq mondial, depuis quatorze ans. Une longévité qui a permis au groupe de se transformer en une entité qui pourrait, se murmure-t-il, prendre une participation dans le géant minier BHP.

Mao Zedong avait beau dire que « la femme est la moitié du ciel », la gent féminine a pourtant bien du mal à être représentée dans les niveaux décisionnels en Chine, que ce soit en politique ou dans les affaires. Deux femmes ont pourtant personnifié à elles seules l'application de cette quasi-doctrine maoïste : la vice-Première ministre Wu Yi et la présidente du groupe du géant de l'acier Baosteel, Xie Qihua. Mais le fait qu'elles soient systématiquement exposées comme les exemples de la réussite féminine en Chine prouve leur indéniable isolement.

A 64 ans, la femme d'affaires est plus active que jamais, même si elle a démissionné l'an dernier du poste de présidente de Baosteel pour diriger la maison-mère. A l'heure où le géant chinois de l'acier est cité comme éventuel candidat à une prise de participation dans le géant minier BHP pour contrer une OPA de ce dernier sur Rio Tinto, son surnom de « femme de fer » commence à être connu au-delà des simples barrières du secteur minier.

Son entrée dans le métier remonte à 1968. A peine diplômée, elle travaille en tant que technicienne dans une usine. Elle y restera dix ans avant d'intégrer Baosteel. Sa progression sera dès lors graduelle mais régulière. En 1994, elle devient la directrice exécutive de la société et quatre ans plus tard, soit vingt ans après son arrivée, la vice-présidente du groupe.

Au gré des fusions et acquisitions, elle le transforme en l'une des plus puissantes entreprises du pays et l'un des premiers aciéristes mondiaux.

« Pendant la reconfiguration du groupe, j'ai dû réduire le nombre d'employés de 176.000 à 90.000 et j'ai dépensé 10 milliards de yuans (1 milliard d'euros) entre 1998 et 2005, expliquait-elle il y a deux ans. Ce n'est que grâce à cette réorganisation que Baosteel a été assez puissant pour réaliser des acquisitions. »

Aujourd'hui, Baosteel est devenu le cinquième aciériste mondial avec des ventes 2007 de 22,66 millions de tonnes d'acier pour 191,56 milliards de yuans (19 milliards d'euros). Ses ambitions se font de jour en jour plus grandes. En 2005, le groupe a décidé que sa capacité de production d'acier serait doublée d'ici à 2010 à 40 millions de tonnes annuelles, puis à nouveau doublée d'ici à 2012, à 80 millions de tonnes afin de devenir le numéro deux mondial du secteur.

Baosteel est l'exemple typique de la mise en place de la politique gouvernementale de création de champions nationaux : il a atteint sa dimension actuelle après le rapprochement de trois entités en 1998.

En juillet 2005, le gouvernement a ensuite émis le désir de restructurer et de recentrer l'industrie autour de ses principaux acteurs. Les dix plus gros d'entre eux avaient reçu pour objectif de représenter 50 % de la production nationale en 2010, 70 % en 2020, contre 35 % en 2005.

La sidérurgie chinoise souffre en effet d'un mal sévère : l'ultrafragmentation. Deux rapprochements ont ainsi été annoncés à l'été 2005 et à l'été 2006, mais aucune des deux opérations ne s'est concrétisée. Alors que la concentration avait permis aux dix premiers groupes de réaliser 37,57 % de la production nationale totale en 2006, leur part s'est réduite à 36,79 % en 2007 suite à l'expansion de petites aciéries, principal moteur de la hausse de 15,7 % de la production totale d'acier à 489,2 millions de tonnes.

Le poids de la Chine sur le secteur ne cesse ainsi de s'accroître. Lors du premier trimestre 2008, la production mondiale d'acier s'est élevée à 340,7 millions de tonnes dont 124,9 millions de tonnes, soit 36,6 %, pour la seule Chine. La production mondiale ne s'est accrue que de 4 % contre 8,6 % pour la Chine. Néanmoins, la Chine reste largement dépendante de ses partenaires pour son approvisionnement en minerai de fer. Elle achète 80 % de celui-ci auprès de l'Australie, de l'Inde et du Brésil.

Afin de limiter cette dépendance, Baosteel a annoncé la semaine dernière sa volonté d'acheter des parts dans le troisième fournisseur australien de minerai de fer, Fortescue Metals Group. Très probable que Xie Qihua y soit pour quelque chose.

Illustration(s) :

© reuters.

© Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2008

Le Pen plante ses tentes en Chine - Emilie Trevert

Le Point, no. 1864 - France, jeudi, 5 juin 2008, p. 56
A court d'argent et de voix, mais pas à court d'idées. Après la mise aux enchères de la voiture blindée de Jean-Marie Le Pen-vendue à un mystérieux collectionneur environ 20 000 euros-sur le site Internet eBay, le FN se lance dans l'humanitaire. Vendredi dernier, 1 000 tentes de quatre places aux couleurs du drapeau français ont pris l'avion, direction... la Chine, afin d'aider quelques victimes du séisme.

De la part de ceux qui scandent dans leurs manifestations « Communistes, assassins ! », l'initiative est plutôt surprenante. Mais, en pleine crise, le FN est prêt à tout pour faire parler de lui. En début de semaine dernière, l'opération a été présentée au « Paquebot », à Saint-Cloud, devant une vingtaine de journalistes chinois-les Français n'étaient pas conviés. « On nous traite de xénophobes, mais ce n'est pas parce que l'on préfère nos filles à nos cousines, nos cousines à nos voisines, etc., que cela nous empêche d'aider les autres », souligne Jean-Michel Dubois, le vice-trésorier du FN.

Le Front national aurait-il recruté un nouveau conseiller en communication ? Non. L'idée est de Jean-Marie Le Pen, qui a « un coeur en or », souligne le fidèle membre du bureau politique, avant de rappeler l'action du parti auprès des enfants d'Irak. Le Pen en soldat de l'humanitaire, il fallait y penser...

Emilie Trevert

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France-Chine, La guerre des maires - Caroline Puel

Le Point, no. 1864 - Monde, jeudi, 5 juin 2008, p. 76
Il y a de l'eau dans le gaz entre le maire de Paris et son homologue de Pékin. La relation compliquée qu'entretiennent Bertrand Delanoë et Guo Jinlong depuis près de deux mois ne fait qu'envenimer les rapports franco-chinois, devenus très délicats en cette année olympique.


Tout a commencé avec le passage houleux de la flamme à Paris, le 7 avril. Les autorités chinoises n'ont pas compris que les manifestations ne soient pas, en quelque sorte, compensées par une initiative politique du gouvernement français ou du maire de Paris, comme a su le faire Gordon Brown à Londres. Les gestes de bonne volonté prodigués par les émissaires venus de Paris (Christian Poncelet, président du Sénat, et Jean-Pierre Raffarin, ex-Premier ministre) n'ont pas suffi à calmer les Chinois. Ceux-ci s'attendaient à voir Nicolas Sarkozy annoncer sa venue à la cérémonie d'ouverture des Jeux après l'annonce d'une reprise du dialogue entre Pékin et le dalaï-lama. Mais c'est surtout la décision de Bertrand Delanoë de sacrer le dalaï-lama « citoyen d'honneur » de Paris le jour même où les émissaires français étaient à Pékin qui a été perçue comme une provocation. Le maire de Pékin, furieux, a donc écrit à son homologue, lui laissant entendre qu'il aurait bientôt de ses nouvelles. Delanoë lui a répondu en lui expliquant pourquoi il pensait avoir eu raison de faire ce geste. Un ton que les Chinois ont jugé « arrogant ». Conséquence : des consignes ont été données de boycotter la France comme destination touristique. Rien d'officiel, bien sûr. Mais déjà on enregistre une grosse chute des voyages chinois en direction de Paris. Au sein du gouvernement chinois, tout le monde n'a cependant pas apprécié la riposte du maire de Pékin, la jugeant excessive. Mais il s'agit aussi d'une « piqûre de rappel » au cas où la réconciliation franco-chinoise tarderait à venir. 700 000 touristes chinois se sont rendus en France en 2007, dépensant en moyenne 1 000 à 1 500 euros par séjour en achats.

Caroline Puel (à Pékin)

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Ouïgours oubliés - Pascale Nivelle

Libération, no. 8423 - Grand Angle, jeudi, 5 juin 2008, p. 30

Sans bruit, la culture de la minorité musulmane du Xinjiang cède le pas face à la colonisation chinoise. Comme les Tibétains, les Ouïgours sont condamnés à l'assimilation ou à la répression. Le prospectus promet une émotion inoubliable. «Venez rencontrer le dernier roi de Chine dans son authentique palais», et «danser avec de belles filles ouïgours».

En 2004, le gouvernement a investi 13 millions de yuans dans cette «attraction touristique nationale» classée triple A. Le ticket d'entrée à 50 yuans comprend la visite d'une mosquée miniature, une promenade entre des parterres de fleurs bétonnés et une exposition historique sur la libération du Xinjiang par les communistes en 1949. Une entrevue avec le roi coûte 200 yuans. «Quand ?»«Tout de suite», répond l'employée chinoise du guichet. Dans les jardins déserts, un carrosse de carnaval prend la poussière. Des femmes, yeux clairs et foulard traditionnel, passent le balai.

«Des Indiens d'Amérique»

Dix minutes plus tard, apparaît Daoud Mehsout, 81 ans, houspillé par deux jeunes Chinoises impatientes. Digne et droit, mais les jambes raides. Chacune à un bras, les filles en uniforme le posent sur un fauteuil : «Vous pouvez prendre des photos.» Le vieil homme rétablit l'équilibre de son calot brodé et prend la pose, le regard noyé. «Je suis l'héritier de la douzième génération des rois de Kuqa, le dernier vestige de la société féodale.» Daoud Mehsout, roi sans royaume, touche un petit pourcentage sur les visites. Le plus souvent, les touristes ne posent pas de questions. «Pauvre roi... et pauvres Ouïgours», répète, navré, un jeune professeur d'Urumqi, la capitale du Xinjiang. Les Chinois ont gagné, nous sommes devenus les Indiens d'Amérique.» Il se fait appeler Batur, «courageux» dans sa langue natale, proche du turc. Car il faut du courage, pour parler aux étrangers. «Des amis sont allés en prison pour ça, dit-il. Pour les Chinois, chacun de nous est une menace. Tout ce qu'ils veulent, c'est nous assimiler le plus vite possible. Qu'on disparaisse.» Comme les Mongols, ou les Mandchous, cultures impériales pourtant, digérées par le développement économique et la croissance à deux chiffres. Comme le Tibet, bientôt. «On se sent proches des Tibétains, dit Batur, on subit la même chose.» Au Xinjiang comme sur le haut plateau, la propagande du Parti communiste chinois agite la menace du séparatisme et du terrorisme (lire ci-contre). Ici, dans ce début d'Asie centrale frontalier de Républiques «suspectes», le «loup» est musulman et «proche d'Al Qaeda». Cela rend la cause ouïgour moins sympathique en Occident. «On n'intéresse personne, dit Batur. Sauf les Chinois. Eux, ils sont en guerre tous les jours.» La principale arme est démographique. Il y a trente ans, Korla, la capitale locale, comptait à peine 1 % de Han, l'ethnie majoritaire en Chine. Ils sont 85 % aujourd'hui. 40,6 % dans la Région autonome du Xinjiang, qui compte 8 millions de Ouïgours.

«Notre culture est complètement ruinée», explique un employé du gouvernement de Korla, qui ne porte même pas la moustache. Fonctionnaire depuis treize ans, jamais promu, il parle à demi-mot. Raconte son combat pour garder sa place, menacée par les Han : «La ville, les dirigeants, les écoles, les restaurants, tout est chinois. Dans une génération, on n'existe plus. On ne pourra pas lutter, sauf si on s'éduque, si tout le monde parle mandarin. Mais c'est loin d'être gagné.»

Kuqa, ancienne oasis peuplée d'éleveurs de moutons, prend le même chemin. Deux cent mille habitants, dix fois plus qu'il y a vingt ans. Des chantiers partout. On y arrive par une avenue à quatre voies, trait de néons d'une dizaine de kilomètres dans le désert. Il n'y a encore rien autour. Un hôtel international de huit étages vient d'ouvrir, mais on n'y accepte pas les «étrangers». Il sert surtout aux marchands de pétrole et aux chercheurs d'or noir qui font pousser des derricks dans la poussière. On fait vite fortune, dans le far-west de la Chine. Dans un restaurant de la vieille ville ouïgour, séparée de la future métropole chinoise par un «pont de l'unité», une famille partage un petit déjeuner de pieds de mouton. «Les Chinois sont partout sur cette planète, même au ciel», dit la mère, 76 ans. Son fils explique : «Ils ne sont pas comme nous. Ils travaillent tout le temps. Le premier jour, ils ramassent les ordures, et le deuxième, ils ouvrent une entreprise. Seul l'argent compte pour eux.» Il n'en dira pas plus, et c'est déjà beaucoup, même dans cette gargote où aucun Chinois n'est jamais entré depuis l'ouverture il y a quatre ans. La peur est dans les têtes.

Sur les murs de la mosquée en terre du XVIe siècle, une banderole rouge du parti : «Luttons contre les activités religieuses illégales. Créons la Société harmonieuse.» A l'intérieur, dans la salle de prière prévue pour 3 000 fidèles, un long panneau détaille, en mandarin et en ouïgour, les règles de l'Etat athée. «Interdit de prêcher le Djihad, le panislamisme, le panturquisme», «Interdit de convertir les membres du parti»... La mosquée est interdite aux moins de 18 ans et aux employés du gouvernement. Où commence l'illégalité religieuse ? Les enseignants ne doivent pas porter la barbe. Posséder le Coran est suspect. Se rendre à La Mecque davantage encore. Les quelques centaines de passeports délivrés aux pèlerins chaque année dans tout le Xinjiang sont déchirés au retour.

Ni moines, ni drapeau

Dans un village à une soixantaine de kilomètres de Kuqa, un planteur de coton explique : «Si on devient trop religieux, le gouvernement s'inquiète.» En janvier, cinquante personnes ont été arrêtées, accusées d'avoir animé des écoles religieuses clandestines et d'appartenir au mouvement radical islamiste Hizb ut-Tahrir. Certains ont été relâchés, d'autres non. «Une école religieuse, c'est un grand mot, dit le paysan. Parfois, il suffit d'étudier le Coran à plusieurs, chez soi.» Dans sa maison traditionnelle, autour d'un thé et d'une roue de nan (pain), un bonnet de laine sur la tête, il raconte aussi la pression de la modernisation. Depuis l'an dernier, tous les fermiers sont obligés de construire des maisons aux nouvelles normes sismiques. Le gouvernement offre 4000 yuans, de quoi acheter les briques. «Tout le Xinjiang doit s'y mettre depuis que la terre à tremblé à Kashgar. Ici, on n'a jamais vu de tremblement de terre, mais c'est la loi.» Il venait de terminer sa maison. Et s'apprête à emprunter un an de salaire pour construire la prochaine. Devant chaque maison, dans chaque village, il y a un énorme tas de briques blondes. Quelle sera la prochaine loi ? Arrêter la culture du coton, creuser des canaux d'irrigation, construire une route... Le travail forcé est courant en Chine. «Si on n'obéit pas, on peut retourner à la jungle», commente le planteur de coton. Façon de parler, dans cette région sèche comme une galette de nan oubliée. Sur le chemin du retour, le chauffeur ouïgour, paysan le reste du temps, desserre les lèvres après trois jours passés ensemble : «La solution, c'est l'unité des Ouïgours sous le même drapeau.» Le drapeau aussi, est interdit.

Opposante en exil

A Urumqi, la capitale chinoise du Xinjiang, les Ouïgours se serrent autour du grand bazar, devenu un attrape-touristes. Non loin de l'hypermarché Carrefour qui vient d'ouvrir, Omar vend des baskets chinoises entre deux échoppes tenues par des Han qui, dit-il, ont beaucoup d'avantages. «Nous aussi, on gagne plus qu'avant. Mais on ne s'enrichit pas. Ils ont peur qu'on devienne tous des Rebiya Kadeer.» Les Ouïgours n'ont pas de drapeau, pas de moines chatoyants ni de dalaï-lama. Ils ont Rebiya Kadeer, richissime et humaniste commerçante devenue la figure de l'opposition. Plusieurs fois pressentie pour le prix Nobel de la paix, elle a passé six ans en prison avant de s'exiler aux Etats-Unis. Sa famille continue de subir des persécutions au Xinjiang. Un exemple, pour Omar. Prudent, il ne détaille pas son propre engagement mais raconte un soulèvement dans le sud à Khotan, il y a quelques semaines. «Ils avaient arrêté un riche marchand de jade, Mutalip Hajim, un homme bon. Il est mort en prison, officiellement d'une crise cardiaque. Toute la ville a manifesté.» Omar ajoute : «Les Chinois nous donnent du pain, mais ils nous volent notre âme. Ils ont asséché nos racines.» Il parle aussi de ségrégation, des écoles «bilingues» où seul le mandarin est obligatoire, des passeports qu'on n'obtient jamais. Et du racisme, palpable chez le premier chauffeur de taxi han : «N'allez pas au bazar, les Ouïgours sont des voleurs. Il sont sales, arriérés, et pauvres.»

Rien de tel à l'université d'Urumqi, fraîchement rénovée. «Nous sommes tous Chinois, il faut assimiler nos cultures», s'exclame gentiment un jeune Han, étudiant en mathématiques, attablé avec deux copains devant un poulet aux cacahuètes, au restaurant universitaire. «C'est la loi universelle, les plus forts gagnent», ajoute le deuxième. Ils n'ont pas d'amis ouïgours, et n'en connaissent d'ailleurs aucun, mais il n'ont rien contre «cette minorité» : «On leur apporte le développement économique. Sans les Han, comment feraient-ils pour avoir des ordinateurs et des téléphones portables ?»

Han Lijun, 22 ans, est la fille de colons historiques. Ses oncles et tantes sont venus comme soldats, son père a suivi et est devenu fermier. Le Xinjiang est sa patrie. Epouser un ouïgour ? «Si ma mère apprenait que j'ai un boy-friend ouïgour, elle me battrait à mort.»

Hadji porte un costume et conduit la Chevrolet de son père, riche commerçant d'Urumqi. L'horloge de la voiture affiche l'heure de Pékin, celle de sa montre l'heure du Xinjiang, deux heures de moins. «Personne ne respecte l'heure officielle, sauf les administrations», explique-t-il. Hadji possède un passeport, il est allé à La Mecque et en Europe, il aime la pop music, les jeux vidéo et le karaoké. Un modèle d'intégration, qui n'a personnellement «aucun problème avec les Han». Mais quand il prend l'autobus, le jeune Hadji s'accroche des deux bras à la barre du plafond. Un réflexe : «Juste pour prouver que je ne vole le sac de personne !»

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CINÉMA - Sharon Stone, boycottée par la Chine - Wachthausen, Jean-Luc

Le Figaro, no. 19858 - Le Figaro et vous, jeudi, 5 juin 2008, p. 32
L'actrice américaine Sharon Stone ne figure pas parmi les invités du prochain Festival international du film de Shanghaï (SIFF) après ses récents propos sur le séisme dévastateur au Sichuan ayant choqué l'opinion publique chinoise. Pendant le Festival de Cannes, Sharon Stone avait suggéré que le séisme du 12 mai en Chine, qui a tué plus de 69 000 personnes, pouvait être la conséquence d'un mauvais « karma » lié à la politique de Pékin au Tibet.

Chine-Taïwan - Le début d'un dégel historique

Courrier international, no. 918 - Asie, jeudi, 5 juin 2008, p. 32
Revenu au pouvoir à Taipei, le Kouomintang a réenclenché le processus de dialogue avec le Parti communiste chinois. Résultat : les pourparlers entre les deux Etats vont reprendre le 11 juin après dix ans d'interruption. La glace a-t-elle été rompue ou a-t-elle fondu ?



Qu'importe, l'essentiel est que les dirigeants des deux partis politiques au pouvoir de part et d'autre du détroit de Taïwan se soient enfin rencontrés, animés de bonnes intentions [pour la première fois depuis 1949. Les précédentes visites d'un représentant du Kouomintang (KMT) sur le continent, depuis 2005, anticipaient la reprise du pouvoir par le parti nationaliste à Taïwan lors de l'élection en avril dernier de Ma Ying-jeou à la présidence de l'île]. Les deux interlocuteurs sont convenus d'une reprise des pourparlers [au niveau gouvernemental, qui avaient cessé depuis 1999] vers la mi-juin et la Chine devrait ouvrir en juillet quatre aéroports aux liaisons directes avec Taoyuan [aéroport international de Taipei]. Le secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), Hu Jintao, a surtout promis pour la première fois que la question de l'existence de Taïwan sur la scène internationale pourrait être négociée.

Il faut certes attendre que les deux prochaines séances de discussions entérinent officiellement ces différentes mesures. Mais cette rencontre entre Wu Poh-hsiung, président du Kouomintang (KMT), et Hu Jintao aura au moins eu le mérite de créer un climat favorable en vue des pourparlers de juin. Que ces images des deux hauts dirigeants du PCC et du KMT en train de se serrer la main en échangeant des amabilités sont impressionnantes ! Combien de rancoeurs historiques, combien de souffrances, combien de familles séparées, du fait d'un demi-siècle de luttes et d'affrontements entre ces deux partis ! Aujourd'hui, leurs dirigeants hissent la paix au rang de valeur suprême et affirment vouloir placer les intérêts de leur peuple avant tout.

Une nouvelle génération de dirigeants

Qu'importe le passé ! Laissons aux historiens la tâche de tirer leurs conclusions. La mission d'écrire les futures pages de l'Histoire repose, elle, entre les mains des nouvelles générations. Les dirigeants des deux partis doivent saisir la chance qu'ils ont de permettre aux relations entre les deux rives de progresser sur le chemin de la paix, de la réconciliation et du dialogue, vers une situation de coopération et d'intérêts mutuels. Après que Taïwan vient de connaître l'alternance politique [le Parti progressiste démocratique (DPP), indépendantiste, ayant perdu les élections en faveur du KMT], il y a d'abord eu la rencontre [informelle] entre Vincent Siew [vice-président de Taïwan] et Hu Jintao lors du forum asiatique de Bo'ao [en avril 2008, sur l'île chinoise de Hainan]. Puis les propos du président Ma Ying-jeou dans son discours d'investiture [appelant à la reprise des pourparlers directs entre Taïwan et le continent], ont conduit à cette rencontre entre Wu Poh-hsiung et Hu Jintao. Les autorités politiques de part et d'autre du détroit ont fourni de gros efforts pour passer du stade de tâtonnements à celui d'un dialogue ouvert. Sur le plan rhétorique, chacun a pesé soigneusement ses paroles, bannissant de son vocabulaire toute expression susceptible d'évoquer un sujet sensible ; chacun a soigné les termes employés pour exprimer ses bonnes intentions.

Les efforts linguistiques étaient indispensables à la reprise du dialogue. En effet, sans parler des provocations liées à leur confrontation sur la scène internationale, l'interruption du dialogue et le raidissement entre les deux rives durant une longue période venaient en grande partie du cercle vicieux des échanges de piques verbales. Que les deux parties cessent de trouver à redire à chaque déclaration de leur adversaire et fassent preuve d'un bon esprit en s'efforçant de trouver le plus grand dénominateur commun entre eux, et il se forme naturellement un cercle vertueux.

Cette rencontre entre Wu Poh-hsiung et Hu Jintao a également été l'occasion d'aborder franchement la question de la place de Taïwan sur la scène internationale, en particulier celle de sa participation à l'Organisation mondiale de la santé [Taïwan, exclu de fait de toute organisation onusienne depuis l'accession de Pékin à l'ONU, fait campagne depuis des années pour retrouver au moins une représentation à l'OMS]. Jusque-là, seul Taïwan mettait cette question sur le tapis, tandis que Pékin feignait l'indifférence [affirmant représenter Taïwan en vertu du principe que l'île est une province de Chine]. Or, cette fois-ci, c'est Pékin qui a pris l'initiative en affirmant clairement, une fois les négociations commencées, "la possibilité de discuter en priorité de la question de la participation de Taïwan à l'OMS", et en estimant qu'"il faut faire preuve d'ingéniosité pour trouver des modalités réalisables". Ces paroles provenant de la bouche même du plus haut dirigeant du PCC, Hu Jintao, il convient naturellement de souligner à quel point elles constituent une avancée.

Avouons-le : par le passé, à force de camper sur leurs positions en s'arc-boutant sur leurs "conditions préalables" [Pékin voulant la reconnaissance du principe d'une seule Chine, Taïwan l'admission du statu quo], les deux parties en étaient arrivés à se noyer dans les détails au point de rendre finalement toute discussion impossible. Désormais, de part et d'autre du détroit, on a semble-t-il appris à laisser provisoirement de côté les polémiques ; chacun est disposé à oublier un peu les divergences pour rechercher les points communs, à permettre que certaines questions favorables aux deux parties "créent des précédents". Quand se sera accumulé un certain capital de confiance mutuelle, on pourra passer à des sujets plus sensibles et de niveau supérieur. Trouver peu à peu un modèle acceptable par les deux parties ne sera pas difficile dès lors que l'on s'astreindra à conserver une telle attitude "pragmatique". Oui, les années de lutte entre le KMT et le PCC appartiennent au passé, et les années de propagande politique dirigée vers l'autre rive du détroit doivent également appartenir au passé ! Désormais, pourquoi chacun n'exprimerait-il pas toute son intelligence en se concentrant sur la résolution de problèmes concrets ?

Encadré(s) :

Missiles

Courrier international
(Paris)

Pékin va réduire le nombre de missiles pointés sur Taïwan, ont annoncé les responsables chinois au président du KouomintangWu Poh-hsiung lors de sa visite sur le continent. Environ 1 300 missiles de croisière et à courte portéesont actuellement positionnés, sur le continent pour pouvoir atteindre l'île de Taïwan, considérée comme une "province" chinoise par Pékin.




CHINE-TAÏWAN
Le début d'un dégel historique

Chungkuo Shihpao - China Times (Taipei)
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PORTRAIT - Li Ka-Shing, tours et détours du Chinois le plus riche du monde

Courrier international, no. 918 - Portrait, jeudi, 5 juin 2008, p. 52

Quel que soit le continent où vous habitez, vous êtes forcément à proximité d'une filiale, d'une entreprise ou d'un bureau de l'un des plus gros conglomérats du monde, Hutchison Whampoa. Cet empire, qui rassemble des sociétés aux activités les plus diverses, allant de la distribution aux télécommunications, appartient au Hongkongais Li Ka-shing, le Chinois le plus riche du monde et l'investisseur le plus influent d'Asie.

Selon le classement annuel du magazine financier Forbes, avec des actifs évalués à 26,5 milliards de dollars américains, cet homme de 79 ans, connu pour ses costumes sombres bon marché et ses montres en plastique, possède la onzième fortune de la planète. Le magazine Time l'avait pour sa part inclus en 2006 dans sa liste des "héros de l'Asie de ces soixante dernières années". Et les étudiants en économie de Harvard sont tenus d'étudier sa biographie, même si elle n'est pas exempte de trous...

La liste des succès financiers de Li Ka-shing est interminable. Les auteurs de sa biographie officielle s'efforcent de le présenter, par-delà l'homme d'affaires qui a réussi, comme l'incarnation du "rêve chinois". Mais la façon dont il a réalisé ce rêve reste malgré tout assez obscure.

Fils d'un instituteur, Li est né le 29 juillet 1928 dans la petite ville de Chaozhou, dans la province méridionale du Guangdong. Fuyant l'avancée de l'armée japonaise, sa famille se réfugie en 1940 à Hong Kong, en zone britannique, où le jeune garçon reçoit son nom actuel, transcrit en conformité avec la prononciation locale. A 14 ans, il perd son père, emporté par la tuberculose. La charge lui revient alors de nourrir sa famille. Il quitte l'école et devient vendeur de rue, écoulant des bracelets-montres. La chance ne tarde pas à lui sourire, sous la forme d'un emploi stable dans une usine, où on le poste devant une presse à emboutir. Après son travail, il se précipite aux cours du soir. C'est à cette époque de vaches maigres que l'adolescent se jure de réussir dans la vie, quel qu'en soit le prix.

Le Ciel, comme il aime à le dire, a entendu son serment. A la fin des années 1940, il a réuni suffisamment d'économies pour ouvrir une fabrique de fleurs artificielles. Ses articles en plastique ont un tel succès qu'il peut rapidement transformer sa petite entreprise en grosse société. Dès lors, son empire ne cesse de grandir. Il parie sur l'immobilier et les infrastructures, largement "aidé" par Mao Tsé-toung et sa révolution culturelle. Car de nombreux capitalistes de Hong Kong, effrayés par la menace communiste, s'empressent de choisir l'exil en liquidant leurs biens à vil prix. Résultat : à la fin des années 1970, Li Ka-shing règne sur la plus grande société d'investissements de la colonie, Cheung Kong Holdings.

L'étape suivante le conduit à changer d'échelle et à acquérir d'énormes actifs industriels et commerciaux appartenant aux Britanniques. C'est ainsi qu'en 1979 il prend le contrôle de la plus grosse holding de Hong Kong, Hutchison Whampoa, qui a la haute main sur le commerce, le transport maritime et la plupart des installations portuaires de la colonie. Comment et à quel prix un homme d'affaires encore relativement peu connu a-t-il pu réaliser une pareille opération ? Sa biographie officielle n'en dit rien, et lui-même se contente de vagues commentaires du style "Je ne regrette pas mon investissement". Il est toutefois peu probable qu'une transaction de cette importance ait pu se conclure sans l'aval de Londres et de Pékin.

A la fin des années 1970, la rumeur disait déjà que le nouveau pouvoir réformateur chinois dirigé par Deng Xiaoping ne serait pas contre l'idée de récupérer le florissant territoire de Hong Kong. Londres estimait visiblement qu'il serait difficile, dans l'hypothèse d'une restitution à la Chine, de maintenir cette gigantesque holding sous contrôle britannique ; et qu'il serait stratégiquement plus judicieux, à long terme, de la vendre préventivement à un Chinois loyal à la fois à Pékin et à Londres.

C'est à cette même époque que remonte un autre événement qui témoigne de la proximité entretenue par Li Ka-shing avec le pouvoir chinois. En 1979, à l'initiative de Deng Xiaoping, la Chine crée le groupe CITIC, dont le gouvernement détient 42 % des parts. Ce conglomérat s'implique dans la majeure partie des sphères d'activité économiques, privilégiant les opérations financières, bancaires, et la construction de grands sites industriels en Chine comme à l'étranger. (C'est d'ailleurs CITIC qui a remporté l'appel d'offres pour la construction du stade olympique de Pékin pour les Jeux 2008, et le droit de l'exploiter pendant trente ans.) Et qui les autorités communistes chinoises choisissent-elles pour diriger cette mégasociété ? Un homme d'affaires n'appartenant pas au Parti et originaire de la colonie britannique de Hong Kong...

La confiance réciproque est si forte que Li Ka-shing propose même à Deng Xiaoping d'entrer au conseil d'administration de la CITIC, mais l'architecte des réformes économiques chinoises décline poliment son offre. Ce qui n'empêche pas les deux hommes de rester liés. En 1992, lorsque le vieux dirigeant effectue son dernier grand voyage, dans le sud du pays, il s'arrange, malgré un emploi du temps chargé et une santé précaire, pour rencontrer le magnat de Hong Kong. On ignore de quoi ils ont pu parler, mais c'est au cours de ce voyage que Deng dévoile son testament idéologique, consistant à promouvoir activement une politique d'ouverture.

Les relations de Li Ka-shing avec les autorités britanniques ont toujours été très chaleureuses. Il s'est vu remettre les plus hautes distinctions de l'Empire britannique. Cela dit, il ne manque pas d'ennemis. La justice américaine surveille de près toutes ses transactions, le soupçonnant notamment d'être lié à des groupes criminels asiatiques. Ainsi, au moment de la création de CITIC, le milliardaire aurait conclu des accords avec les chefs de deux familles de Hong Kong, Robert Kwok et Henry Fok, soupçonnés d'appartenir à la mafia chinoise, les fameuses triades. Le premier aurait donné dans le trafic d'héroïne avec la Birmanie, tandis que le second aurait bâti sa fortune en fournissant des produits occidentaux à la Chine pendant la guerre de Corée, au mépris des sanctions votées par l'ONU. Par la suite, le fils de Fok a été jugé pour avoir tenté de faire entrer illégalement aux Etats-Unis une cargaison de kalachnikovs fabriquées en Chine. Peter, le fils de Kwok, a eu plus de chance. Il a en effet retrouvé toute sa respectabilité en travaillant en toute légalité aux côtés de Li Ka-shing, et avec l'Armée populaire de libération. Il a même aidé la société de télécommunications AsiaSat - qui est à la fois détenue par Li Ka-shing et par le Comité [chinois] des sciences, technologies et industries de la défense nationale - à acquérir aux Etats-Unis des satellites de télécommunications de dernière génération [et donc stratégiquement sensibles].

Autres ennemis de Li Ka-shing, les gangsters de Hong Kong s'en sont pris à lui à plusieurs reprises. En 1996, pour commencer, Cheung Tze-keung a fait enlever son fils Victor (qui seconde aujourd'hui son père chez Cheung Kong Holdings), en demandant une rançon de 1 million de dollars hongkongais (environ 130 000 dollars américains). La rançon a aussitôt été payée, et le jeune homme libéré. Cheung a ensuite été arrêté et exécuté. Mais il y a eu d'autres histoires. L'année dernière, des gangsters venus de République populaire ont tenté de s'emparer des restes de l'épouse de Li Ka-shing dans un cimetière bouddhiste du centre de Hong Kong, espérant là aussi obtenir une rançon. Mais les employés du cimetière ont remarqué leur manège et donné l'alerte. Les voleurs ont dû s'enfuir en emportant l'urne funéraire, mais ont été rattrapés par la police.

Les services de renseignements américains soupçonnent par ailleurs les sociétés de Li Ka-shing de participer au transfert de secrets technologiques occidentaux vers la Chine populaire. Ils n'ont cependant rien pu prouver à ce jour, bien qu'ils lui aient copieusement empoisonné l'existence. En 1995, il avait signé un contrat de 88 millions de dollars pour construire un terminal de cargos aux Bahamas. Les services secrets américains y ont vu un danger d'entrée de produits de contrebande aux Etats-Unis et ont tout fait pour saboter la transaction. Autre épisode : Li Ka-shing a semblé intéressé, il y a quelques années, par des actions de la société qui gérait le canal de Panamá : Washington s'est à nouveau interposé et a fait échouer l'affaire.

Li Ka-shing possède un véritable don pour les affaires. C'est un visionnaire doublé d'un risque-tout, qui n'hésite pas à frôler les limites du raisonnable. Une fois à la tête de Hutchison Whampoa, il a par exemple décidé d'en faire une mégasociété, l'un des leaders mondiaux dans de nombreux domaines, notamment les hautes technologies. Il commence par emprunter plusieurs milliards, qu'il consacre à la reconstruction et à la modernisation des terminaux portuaires et autres infrastructures de Hong Kong. A ce jour, il contrôle 13 % de l'ensemble du transport de containers dans le monde. Il ne lésine pas sur les moyens quand il s'agit d'automatiser les processus de gestion du commerce. Résultat, Hutchison Whampoa réunit à travers le monde entier près de 7 800 points de vente.

Un risque-tout qui n'hésite pas parfois à s'endetter

Li Ka-shing consacre aussi de grosses sommes à la construction d'équipements industriels et sociaux. A Hong Kong, on dit que sur chaque dollar dépensé sur place 5 cents vont dans sa poche. Mais cela ne lui suffit pas. Son groupe est entré sur le marché des télécommunications. Le nombre d'abonnés qu'il dessert en Asie, en Amérique du Sud, en Europe et au Moyen-Orient avoisine les 20 millions. Certains observateurs ont parfois l'impression que le sens exubérant des affaires du "héros de l'Asie" le mène trop loin. Et en effet, quel businessman normalement constitué irait vendre une entreprise rentable pour se lancer dans quelque chose qui ne lui assurerait aucun bénéfice à court terme ? C'est pourtant ce qu'a fait Li Ka-shing. Il s'est jeté tête baissée dans le développement des services de télécommunication de troisième génération, la 3G, et peu lui importe de subir les grosses pertes qu'implique la mise en place de nouveaux systèmes. Il est persuadé que les déficits ne seront que provisoires. Fin 2007, il a investi 60 millions de dollars dans le très populaire réseau social américain Facebook, déclarant que ce n'était que le début de son expansion sur la Toile.

Il y a un an et demi, il a surpris tout le monde en commentant, à la demande de journalistes qui l'interviewaient, la décision du milliardaire américain Warren Buffett de consacrer une partie de sa fortune à la lutte contre le sida et d'autres maladies : "Un jour prochain, mes dons à la Fondation Li Ka-shing représenteront au moins un tiers de ma fortune", a-t-il déclaré, sans toutefois préciser quand viendrait ce jour faste. En 2005, sa fondation caritative a versé 120 millions de dollars à la faculté de médecine de l'université de Hong Kong. Les responsables de l'établissement ont alors décidé de donner son nom à la faculté en question, au grand dam des étudiants et de certains professeurs. Li Ka-shing a déclaré qu'il ne voyait aucun problème à ce que la faculté porte son nom, et c'est ce qui est finalement arrivé.

Quoi qu'il en soit, en lisant les diverses biographies qui lui sont consacrées et qui mêlent habilement légende et réalité, on peut dégager une certitude, celle que Li Ka-shing ne restera pas seulement dans l'Histoire en tant qu'homme d'affaires, mais aussi en tant que philanthrope. Il a déjà dépensé environ 1 milliard de dollars en bonnes oeuvres. La reconnaissance de ses compatriotes est le matériau sur lequel se construit le charisme du "superman de Hong Kong". Cependant, il affirme ne pas courir après la gloire. Lorsqu'on lui a demandé ce dont il rêvait maintenant, ce grand amateur de feng shui a confié, philosophe : "Je rêve d'être jardinier, de faire mon travail et de rester anonyme." Sur le point de la discrétion, il faut bien reconnaître qu'il se débrouille particulièrement bien...

BIOGRAPHIE

29 juillet 1928 Naissance en Chine.

1940 Sa famille se réfugie à Hong Kong.

1942 A 14 ans, il devient chargé de famille.

Fin des années 1940 Il crée une entreprise de fleurs artificielles.

Années 1950 Il se lance dans l'immobilier et les infrastructures.

Années 1970 Li Ka-shing règne sur Cheung Kong Holdings, la plus importante société d'investissement de la colonie.

1979 Il prend le contrôle de Hutchison Whampoa.

1992 Deng Xiaoping rencontre le magnat à Hong Kong.

2005 Sa fondation caritative verse 120 millions de dollars à la faculté de médecine de l'université de Hong Kong.

2008 Ses sociétés de télécoms servent 20 millions d'abonnés dans le monde.


Alexandre Tchoudodeïev - Itogui (Moscou)

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MODE - Yamamoto enchante Pékin - Brunel Charlotte

L'Express, no. 2970 - Styles;Mode, jeudi, 5 juin 2008, p. 52-55
Le couturier japonais a défilé pour la première fois en Chine, dans la Cité interdite. L'occasion d'installer sa marque dans l'empire du Milieu et d'inaugurer sa Fondation pour la paix, destinée à soutenir la jeune création locale. Reportage dans les coulisses de l'événement.

Jeudi 24 avril, 19 heures. La pluie s'est arrêtée sur Pékin, mais les visages du staff tout de noir vêtu demeurent tendus, tandis que les 600 invités franchissent au compte-gouttes l'enceinte pourpre et majestueuse de la Cité interdite. Un lieu mythique, un premier défilé Y's en Chine, dans le nouvel eldorado du luxe... La tension est à son comble pour la maison Yohji Yamamoto. D'autant que c'est la première fois qu'un créateur étranger est invité personnellement par le gouvernement chinois à défiler... pour la bonne cause. Son nom : la Fondation Yohji Yamamoto pour la paix, une institution dont le but est de sponsoriser chaque année un jeune créateur et un mannequin de l'empire du Milieu.

Diplomates, étoiles de la photographie (Lu Zhirong) ou de la calligraphie (Liu Dan), riches galeristes et Hongkong stars, tel l'acteur et chanteur Alex Po, gros noeud papillon sur les fesses et catogan assorti à son costume blanc... Pour l'heure, la Chine mondaine et artistique se presse vers les tribunes à ciel ouvert du défilé. Sous les gros yeux des lions de bronze, impassibles témoins d'une histoire qui aura vu se succéder 24 empereurs, sans parler des invasions, de la Révolution culturelle ou du Starbucks Coffee, fermé en 2007 pour « atteinte à la solennité de la Cité interdite et de la culture chinoise ». On ne plaisante pas avec les symboles.

Comme par magie, la fraîcheur du soir fait tomber une brume naturelle sur le podium, enveloppant d'un peu plus de mystère les 60 silhouettes femme et homme que Yohji Yamamoto a spécialement dessinées pour l'occasion. Bien sûr, l'esprit équestre de la collection hiver 2008 resurgit sur ces vestes bicéphales en laine et cuir bruts, parfois teints de bleu Klein. Dans ces dialogues entre l'ombre et la lumière (des blouses blanches portées sur de longues jupes noires), le masculin et le féminin, les hommages à la couture française (robes longues en soie aux drapés très Vionnet), le tout sur fond de ballades folk composées et chantées par Yohji lui-même (une première !).

« A Paris, je m'adresse à un public de mode auquel je présente deux collections par an. Ici, j'avais besoin de montrer quelles sont les bases, l'essence de Y's. Tout devait être pur pour bien faire passer le message et rendre les gens heureux », expliquait le couturier de 65 ans en coulisses. Mission accomplie donc, à entendre les applaudissements et les cris de joie de l'équipe, soulagée d'avoir mené à terme ce gros bébé de 8 mois. Dans quel contexte est-il né ? « Le gouvernement chinois m'a invité à faire un défilé, ce qui coïncide avec l'ouverture de Y's Asie à Pékin en 2007. C'est tout », poursuit Yohji Yamamoto. Douze enseignes Y's devraient y voir le jour d'ici à 2010.

Donc, pas de message politique revendiqué, au moment où la Chine est dans le collimateur des défenseurs des droits de l'homme... Mais quand un couturier japonais y inaugure une fondation pour la paix, après huit ans de crise entre les deux puissances (Pékin reprochant à l'ex-n° 1 du gouvernement nippon Junichiro Koizumi de faire l'apologie du passé militariste de son pays), la question se pose naturellement. D'autant que Yohji Yamamoto a souvent évoqué le sentiment de culpabilité qu'il éprouvait vis-à-vis des horreurs perpétrées par l'armée impériale pendant la guerre sino-japonaise. Encouragé par le badge « What remains is future ? » accroché à sa veste noire, on insiste. « Le Japon ne s'est pas excusé correctement. Les générations suivantes n'auront pas la même conscience que nous de ce qui s'est passé, c'est donc à notre génération de le faire », lâche-t-il pudiquement.

Parce que, quand il est venu pour la première fois défiler à Paris, en 1981, le Japon était - tout comme l'empire du Milieu - un inconnu en matière de mode et qu'il a essuyé à l'époque l'incompréhension et les critiques violentes, Yohji Yamamoto a choisi d'aider les jeunes créateurs chinois. En septembre prochain, grâce à sa fondation, le premier styliste sélectionné ira passer deux ans dans une école de mode japonaise ou française. Un mannequin femme sera également sponsorisé et défilera pour la marque. « C'est quelqu'un que j'admire beaucoup pour son sens de la coupe et du mouvement », s'enthousiasme Xander Zhou, un jeune talent de la mode masculine pékinoise présent au défilé.

Véritable manufacture du monde, avec ses produits bon marché et ses copies de sacs griffés, la Chine commence néanmoins à suivre sa propre voie. C'est le cas avec la créatrice Ma Ke, qui va défiler pour la seconde fois à Paris, en juillet prochain, pendant la Semaine de la haute couture. Baptisée Wuyong, sa collection s'apparente à un processus artistique, avec ses matières recyclables tissées à la main et décolorées par le soleil. « Aujourd'hui, les Chinois voient plus loin, il suffit de mesurer l'ampleur que prend ici l'art contemporain. Dans un avenir très proche, les gens vont acheter des produits avec un supplément d'âme et je pense qu'ils ont choisi d'inviter Yohji Yamamoto parce qu'ils le considèrent avant tout comme un artiste », analyse Keizo Tamoto, vice-président du groupe.

La vente aux enchères des pièces du défilé, organisée quelques jours plus tard au Beijing Hotel par Sotheby's (pour financer la fondation), en est la preuve. Colonnes turquoise et or façon Arts déco pop, rideaux de scène rouge Mao, bouteilles en plastique posées sur des nappes blanches à volants... la salle de bal de ce vénérable hôtel semble parée pour une fête du Parti. Avec, comme figurants, les 34 silhouettes Y's exposées sur des mannequins acéphales. La robe de mariée en cuir blanc et son manteau d'ombre sont acquis pour la somme record de 265 000 yuans (24 406 ) par... Liu Dan, un riche négociant en porcelaine.

Catogan poivre et sel, élégant costume noir à col Mao, M. Dan offrira cette pièce à sa girlfriend, fan de Yohji. Pour lui, « les créateurs japonais se réfèrent beaucoup à la tradition, mais ils ont su la révolutionner. Ils possèdent une compréhension particulière de la troisième dimension, qui donne à leurs vêtements un effet dramatique ». Monté sur la tribune pour un discours, Yohji Yamamoto, cheveux longs et barbe christique, se lance dans une parabole. Depuis des années, il va déjeuner dans un restaurant, à Tokyo. Un jour, le patron lui demande de faire un costume pour son fils à prix coûtant. Il refuse, arguant qu'il ne lui a jamais demandé de ristourne pour manger. « Souvent la mode est considérée comme ayant peu de valeur, mais il faut beaucoup de travail et de temps pour faire de vrais vêtements », conclut-il. Une leçon à méditer pour la Chine ?

Encadré(s) :
3 questions à Adrienne Ma

Comment le marché chinois a-t-il évolué ces dernières années en matière de mode ?
Un peu comme en Russie, on peut comparer l'évolution du marché à une journée. A 9 heures, le consommateur s'éveille, à 12 heures, le soleil brille à son maximum, et les marques comme Louis Vuitton, Versace ou Chanel attirent l'oeil. Quand vient le soir, on choisit davantage ses vêtements en fonction de sa personnalité. Pour l'heure, les Chinois en sont encore à midi.

Est-ce en train de changer ?
Oui, depuis cinq ans, le nombre de consommateurs du luxe a beaucoup augmenté. Le marché s'est ouvert, notamment grâce aux femmes, qui ont de plus en plus de postes à responsabilité et qui demandent aux créateurs : « Habillez-moi ! ». Certaines commencent à chercher des alternatives aux griffes internationales en se tournant vers de petites marques de niche.

Qu'en est-il de la mode chinoise ?
La Chine est considérée comme la manufacture du monde, mais elle est en train de s'orienter vers l'artisanal. Entre le marché étranger et le marché domestique, son potentiel est gigantesque.

Illustration(s) :
liu jin/afp
Yohji Yamamoto, entouré de l'un de ses mannequins, avant le défilé.

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Chine : commémoration discrète de la répression de Tiananmen

Les Echos, no. 20186 - Dernière, jeudi, 5 juin 2008, p. 16
La Chine a renforcé la sécurité dans le centre de sa capitale, alors que des proches de victimes de Tiananmen commémoraient discrètement la répression du mouvement démocratique de 1989 mercredi, à 65 jours de l'ouverture des jeux Olympiques de Pékin.



Passé sous silence depuis dix-neuf ans par les médias chinois, cet anniversaire entraîne aussi chaque année une pression accrue sur les dissidents pour empêcher des commémorations publiques. Cette année, l'un d'eux, Chen Xi, a ainsi été empêché d'embarquer à bord d'un avion pour se rendre à Pékin, selon Reporters sans frontières. Sur la place Tiananmen, policiers et membres des forces paramilitaires patrouillaient, tandis que des policiers en civil surveillaient les lieux, armés de caméras vidéo.

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Park Hyatt s'ancre davantage dans le très haut de gamme - Christophe Palierse

Les Echos, no. 20186 - Services, jeudi, 5 juin 2008, p. 26
"L'expansion internationale de la chaîne se poursuit aussi avec 13 nouveaux hôtels annoncés d'ici à 2011. La Chine est bien lotie avec quatre établissements, dont ceux de Shanghai et Pékin, exploités dès juillet. Park Hyatt mise aussi sur les complexes de loisirs avec des « resorts » à Jeddah en Arabie saoudite, en Chine, en Thaïlande, à Marrakech, et en Andalousie."

Sur un marché de l'hôtellerie de prestige de plus en plus concurrentiel, l'américain Global Hyatt Corporation veut s'ancrer davantage dans le très haut de gamme avec sa chaîne Park Hyatt (23 établissements aujourd'hui, sur un parc de 735 hôtels). L'opérateur, qui s'est interrogé sur la création d'une enseigne de luxe, a finalement décidé de « réinvestir dans Park Hyatt », indique en effet son responsable Europe de Sud-Afrique du Nord, Michel Jauslin, l'objectif étant de faire de la marque « l'une des meilleures au monde ». Cette stratégie, qui rappelle celle d'Accor avec Sofitel, se traduit par une élévation de ses standards et la revalorisation des hôtels existants.

La surface des chambres du futur Park Hyatt de Rome, aujourd'hui à l'étude, sera ainsi d'au moins 40 mètres carrés, soit 8 de plus que la plus petite des chambres de son aîné parisien, le Park Hyatt Paris Vendôme, qui a ouvert ses portes à l'été 2002. De même, ce dernier va faire l'objet d'une nouvelle augmentation du nombre de ses suites, afin de le positionner très clairement parmi les fleurons de l'hôtellerie parisienne, tout en répondant à la demande. Début 2009, le Park Hyatt Paris Vendôme en comptera cinq supplémentaires, dont une seconde suite Impériale (250 m2) et un appartement (180 m2), cinq autres suites étant agrandies, le tout pour 5 millions d'euros. L'hôtel, qui disposait déjà de deux nouvelles suites depuis l'été dernier, en proposera donc 55 sur un total de 157 chambres.

Expansion internationale

Ce programme s'inscrit dans un contexte de renforcement de la concurrence dans la capitale, avec notamment l'arrivée de Shangri-La et de Mandarin Oriental, et la rénovation du Royal Monceau. Un projet similaire est lancé au Park Hyatt de Milan, tandis que celui de Madrid subit une rénovation lourde avec fermeture depuis août 2007 en vue d'une réouverture en octobre ; un programme de 40 millions.

L'expansion internationale de la chaîne se poursuit aussi avec 13 nouveaux hôtels annoncés d'ici à 2011. La Chine est bien lotie avec quatre établissements, dont ceux de Shanghai et Pékin, exploités dès juillet. Park Hyatt mise aussi sur les complexes de loisirs avec des « resorts » à Jeddah en Arabie saoudite, en Chine, en Thaïlande, à Marrakech, et en Andalousie. Un projet est aussi à l'étude à Palma de Majorque.

CHRISTOPHE PALIERSE

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Sinosteel renforce son emprise sur Midwest Corp.

Les Echos, no. 20186 - Marchés, jeudi, 5 juin 2008, p. 31
Le négociant chinois a annoncé qu'il contrôle 28,37 % des actions de la firme australienne, contre 19,9 % auparavant, marquant ainsi un nouveau point dans son combat pour l'acquisition de Midwest, alors que Murchison Metals a lancé une proposition alternative.

Sinosteel avance à grands pas vers la détention d'une minorité de blocage dans le capital de Midwest Corp., société australienne d'exploration dans le minerai de fer, valorisée 1,38 milliard de dollars américains à la Bourse de Sydney. Hier, le puissant négociant chinois a annoncé qu'il contrôle désormais 28,37 % des actions de la firme australienne, contre 19,9 % auparavant. Sinosteel marque ainsi un nouveau point dans son combat pour l'acquisition de Midwest. Au moyen d'une offre définitive, sans conditions de seuil et entièrement en cash de 6,38 dollars australiens par titre, Sinosteel doit faire face à une proposition alternative émanant de Murchison Metals, une autre entreprise extractive australienne dont les opérations sont mitoyennes de celles de Midwest.

Le signe que le chinois a pris une avance peut-être décisive sur son concurrent est venu du marché. Après avoir culminé au cours record de 7,10 dollars australiens le 30 mai en séance, l'action de la proie disputée par les deux adversaires est redescendue vers les 6,70 dollars australiens, un prix très proche de celui mis sur la table par Sinosteel. Les intervenants deviennent plus sceptiques sur l'offre entièrement en échange d'actions lancée par Murchison Metals, dont la participation au capital de Midwest est de 10 % environ.

La direction n'a pas choisi

S'inspirant d'Andrew Forrest, l'homme le plus fortuné d'Australie qui contrôle Fortescue Metals, Paul Kopejtka, le président exécutif de Murchison Metals, a tenté, dans une lettre aux actionnaires de Midwest, de les rassurer quant à la capacité des deux firmes réunies d'exporter le minerai de fer vers la Chine, le véritable eldorado des producteurs de cette précieuse ressource minérale. Il laisse aussi entrevoir la possibilité de nouer des partenariats dans l'exploration, le développement de projets et la gestion d'opérations avec des tierces parties. L'allusion au chinois est à peine voilée. Mais cela tout en gardant le nouvel ensemble entre les mains australiennes. Cet appel n'a cependant pas fait modifier la position parfaitement équidistante assumée par la direction de Midwest. Celle-ci recommande à l'unanimité les deux offres alternatives.

M. P.

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mardi 3 juin 2008

Les jeunes Camerounais déçus par une France timorée sur les droits de l'homme en Afrique

Le Monde - International, mercredi, 4 juin 2008, p. 5
"Dans l'esprit des jeunes rencontrés, la Chine " investit " réellement pour l'avenir du Cameroun. Les ingénieurs envoyés par Pékin vivent dans des baraquements et se contentent de salaires modestes alors que les Français exigent air conditionné, piscine et salaire d'expatrié. " La France dépense de l'argent pour des conférences qui ne nous donne rien sauf des politiciens corrompus. Les Chinois nous facilitent la vie en nous vendant des motos à moitié prix et des objets quotidiens abordables ", tranche un jeune agriculteur."

Placardés sur les murs, Mandela, Luther King et Guevara assistent, muets, au procès improvisé : " Depuis quarante ans que la France "aide" le Cameroun, les gens vivent-ils mieux dans ce pays ?, attaque Mouafa Djontu, dirigeant d'une association d'étudiants de Yaoundé. Elle n'est là que pour conforter ses intérêts ! "

Au coeur d'un village de brousse, un jeune agriculteur exprime autrement des sentiments comparables : " Quand un ministre camerounais vole, c'est notre argent qui va à Paris. La France est notre marraine. Elle ne devrait pas laisser passer ça ! " Nul besoin d'orienter la conversation sur l'image de la France au Cameroun. La présence d'un journaliste blanc suffit à la déclencher, quitte, parfois, à forcer le trait. Jamais d'agressivité personnelle, mais des griefs ordonnés autour de trois thèmes : le soutien de Paris à l'éternel président Paul Biya, l'exploitation des richesses du pays, et la fermeture des frontières de la France.

Latente, l'animosité à l'égard de la France n'est pas l'élément déclencheur des émeutes qui, à la fin février, ont fait plusieurs dizaines de morts au Cameroun. L'explosion des prix du carburant et du riz et la réforme autorisant le président, Paul Biya, au pouvoir depuis vingt-six ans, à briguer un nouveau mandat ont enflammé la rue.

Mais tout le monde l'a remarqué : les entreprises françaises ont été prises pour cibles, au même titre que celles que la population attribue au président. Les stations Total, les agences Orange, les kiosques du PMU ont été pillés. " Les jeunes se sont attaqués à ce qu'ils croient être la cause de leur malheur ", résume Pius Njawé, directeur du quotidien Le Messager.

L'hostilité antifrançaise relève du politique. Aucun Européen n'a été pris à partie. Rien à voir non plus avec les années 1990, lorsqu'un mot d'ordre de boycottage des produits français accompagnait la lutte contre le parti unique. " Au Cameroun, rien n'est plus prisé que les marques françaises. Mais l'image de la marque "France", elle, passe mal ", sourit Gabin Nguidjoc, 30 ans, consultante en relations publiques.

Branchés sur RFI, TV5 ou Yahoo.fr, les jeunes rêvent de découvrir les richesses qui, comme si elles venaient d'une autre planète, s'étalent sur leurs écrans. " Chacun veut avoir sa chance ", glisse une étudiante à qui un visa pour Paris a été refusé.

Entre dépit et colère, les jeunes Camerounais enragent contre une " France qui ne s'aperçoit pas que l'Afrique change " et continue de traiter les Africains en enfants immatures. " Si la France voulait, les choses changeraient ici. "

Paris éternelle responsable ? " Voilà une rhétorique du passé dont il est difficile de se passer, tranche Jean-Jacques Ekindi, député de l'opposition. Le véritable problème du Cameroun, ce sont les Camerounais. "

De façon inattendue, Nicolas Sarkozy a plutôt bonne presse parmi ces jeunes en rogne contre la France. Ils sont nombreux à le créditer d'une énergie inépuisable dont il ne peut sortir que du bien. " Il a demandé aux Africains de se prendre en main. Mais certains trouvent plus commode d'accuser la France ", affirme une étudiante.

Mais les diplomates français en prennent pour leur grade : ils sont accusés de parler " toujours par euphémisme alors que c'est d'eux que nous attendons les offensives sur les droits de l'homme et contre la corruption ". " Ils sont vieux jeu, incapables de regarder sous les jupes de l'Afrique qui est tout de même l'épouse de leur propre pays ", ose l'éditorialiste radical Shanda Tonme. Les jeunes mettent en exergue les prises de position plus nettes des ambassadeurs américains ou néerlandais sur les atteintes aux libertés.

Mais c'est dans le domaine économique, ultrasensible pour une jeunesse massivement condamnée au chômage, que l'aigreur est la plus marquée. Le réquisitoire est récurrent : " Les Français exploitent notre port, notre bois, nos bananes. Ils se réservent les postes de direction et ne fraient jamais avec les employés. Ils donnent des ordres, mais ne vont jamais sur le terrain, ils ne construisent rien de visible. " Tout le contraire des vertus prêtées aux " partenaires " chinois qui multiplient les chantiers, notamment celui du rutilant palais des sports de Yaoundé.

Dans l'esprit des jeunes rencontrés, la Chine " investit " réellement pour l'avenir du Cameroun. Les ingénieurs envoyés par Pékin vivent dans des baraquements et se contentent de salaires modestes alors que les Français exigent air conditionné, piscine et salaire d'expatrié. " La France dépense de l'argent pour des conférences qui ne nous donne rien sauf des politiciens corrompus. Les Chinois nous facilitent la vie en nous vendant des motos à moitié prix et des objets quotidiens abordables ", tranche un jeune agriculteur.

Même si les coeurs restent tournés vers la France et sa langue, les regards d'admiration convergent désormais vers la Chine. Le volontarisme politique des Chinois, la fierté qui les conduit à refuser l'aide internationale sont perçus comme des vertus à importer d'urgence en Afrique. Avec un espoir largement exprimé : que la concurrence asiatique amène la France à considérer l'Afrique autrement.

Philippe Bernard

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