mardi 28 octobre 2008

ÉDITORIAL - Retrouvailles franco-chinoises - Pierre ROUSSELIN

Le Figaro, no. 19981 - Le Figaro, lundi, 27 octobre 2008, p. 17

En menaçant le bien-être du monde entier, la crise financière a éclipsé tous les problèmes qui se posent à la planète. Nos relations avec la Chine bénéficient de ce changement de perspective. Le retournement est spectaculaire. L'heure n'est plus à la brouille du printemps, lorsque la répression au Tibet et l'indignation qu'elle a suscitée menaçaient d'entraîner nos deux pays dans une brouille disproportionnée.

Les Chinois ont compris que la vigueur de leur économie réelle ne les mettait pas à l'abri de la débâcle financière, née aux États-Unis dans un environnement très différent du leur. Déjà, les faillites se multiplient parmi les entreprises exportatrices et le ralentissement de la croissance est manifeste. La mondialisation a atteint une telle ampleur que la Chine ne restera pas indemne. Si rien n'est fait, elle ne sera pas la locomotive qui sortira le reste du monde de la récession. Comme la France et l'Europe, la Chine et l'Asie doivent donc tout faire pour que l'Amérique tire les leçons de ce qui se passe et ne se contente pas de demi-mesures en attendant une nouvelle crise de liquidités.

Ainsi, lorsque Nicolas Sarkozy a voulu transformer en forum de décision l'aimable cénacle de l'Asem qui, depuis 1996, réunit tous les deux ans Européens et Asiatiques, il a trouvé des dirigeants chinois attentifs. À Pékin, étaient présents douze des vingt pays qui seront à Washington le 15 novembre pour le « nouveau Bretton Woods », destiné à réformer le système financier international. Les quarante-trois pays de l'Asem comptent pour 60 % du PNB mondial, illustrant ainsi le glissement vers l'Est du pouvoir économique mondial. L'occasion était trop belle pour ne pas lancer un message à l'adresse de Washington.

En jugeant insuffisantes les mesures prises jusqu'à présent, en réclamant « une plus grande régulation financière » et en se disant prêtes à prendre « une part active » au prochain sommet de Washington, les autorités chinoises ont mis tout leur poids dans la balance pour favoriser l'initiative du président français. Entre la Chine et la France, entre l'Asie et l'Europe, une communauté de vues s'est dégagée.

C'est important, parce qu'il va falloir faire bouger les États-Unis. À bout de course, George W. Bush est sur la défensive. Il dit qu'il veut « préserver les fondements du capitalisme démocratique ». En 1944, quelques semaines après le débarquement en Normandie, la conférence de Bretton Woods avait consacré la suprématie économique des États-Unis. Aujourd'hui, il s'agit de domestiquer Wall Street et de tenir compte du nouvel équilibre économique mondial. Les dirigeants chinois ont beau être communistes, ils sont prêts à participer au sauvetage du capitalisme. Et ils savent qu'ils peuvent faire entendre leurs voix.

En prenant la tête de la campagne pour un « nouveau Bretton Woods », Nicolas Sarkozy a remis la France dans le rôle qui plaît aux Chinois : celui d'un pays qui tient tête à la superpuissance américaine et derrière lequel ils peuvent avancer sans trop s'exposer. C'est la raison pour laquelle les retrouvailles franco-chinoises peuvent être durables.

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L'Asie entre en scène - Sylvie Kauffmann

Le Monde - Dernière heure, mardi, 28 octobre 2008, p. 30

Vendredi 10 octobre, le premier ministre australien, Kevin Rudd, recevait quelques amis dans sa résidence de Sydney lorsque, sur les coups de 22 h 40, un collaborateur vint l'informer discrètement que le président George Bush était au bout du fil. A Washington, c'était le matin. L'Australien s'excusa auprès de ses invités et alla prendre l'appel.

C'était lui, en réalité, qui avait pris l'initiative de cet entretien téléphonique. D'après le récit de la conversation que fait le quotidien The Australian, il voulait convaincre le président américain de convoquer non pas un sommet du G7 ni un G8 à Washington pour tirer les leçons de la crise financière mondiale, mais un G20. L'idée de ce sommet avait été lancée par Nicolas Sarkozy, au nom des Européens, le 23 septembre à l'ONU, à New York, mais il était essentiellement question au départ du petit club des pays riches : le G7 comprend les Etats-Unis, le Canada, le Japon, l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l'Italie, le G8 regroupe les mêmes plus la Russie. L'étape suivante est le G13 (Chine, Inde, Brésil, Mexique, Afrique du Sud), avant d'arriver au G20, qui rassemble encore d'autres pays émergents.

" G20 ? C'est quoi ? ", demanda le président américain. Le premier ministre australien lui expliqua qu'un tel sommet ne pouvait se concevoir sans la Chine. M. Bush était réticent. Mais, quatre jours plus tôt, M. Rudd, qui se targue de bien connaître la Chine, dont il parle la langue couramment, avait eu le premier ministre Wen Jiabao au téléphone. Il fit valoir à George Bush que ne pas inviter la Chine serait non seulement une erreur économique, mais aussi un faux pas politique, car certains, à Pékin, profitaient déjà du tsunami parti de Wall Street pour dénoncer les dangers de l'économie de marché... Pour renforcer les partisans des réformes économiques, il fallait donc leur offrir une place à table, et à la table des grands. Kevin Rudd finit par emporter le morceau, puisque, au grand dam de M. Sarkozy, qui voulait un sommet plus restreint, apte à prendre " des décisions concrètes ", M. Bush a finalement opté pour un sommet à vingt - dont l'Australie - le 15 novembre.

M. Sarkozy pensait sans doute à la Chine en évoquant, le 23 septembre, un " format à partir du G8, avec possibilité d'ouverture sur des pays émergents ". Peu importe qui, au bout du compte, aura amené la Chine à Washington. Ce qui est stupéfiant, c'est qu'il ait fallu plaider pour qu'elle y soit. Et que les dirigeants occidentaux, plongés jusqu'au cou dans " la plus grave crise financière depuis 1929 ", n'aient pas jugé indispensable que des moteurs de croissance comme la Chine et l'Inde soient associés d'office à la recherche d'une solution durable.

Le ton avait évolué lorsque l'ASEM (Forum Asie-Europe) a réuni, les 24 et 25 octobre à Pékin, les pays d'Asie et de l'UE. La crise aussi avait évolué. " Soit on nage ensemble, soit on coule ensemble, a averti le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Il faut que l'Asie soit à bord, et en particulier la Chine, l'Inde et le Japon. " Au grand soulagement des Européens, Wen Jiabao a promis que la Chine participerait " activement " au sommet de Washington - sans toutefois préciser comment ni à quel niveau.

Car une chose est d'inviter la Chine, une autre est de savoir comment elle va se comporter. A la tête d'un pays plus ouvert, le premier ministre indien fait moins de mystères. Les Chinois, eux, se trouvent aujourd'hui projetés sur la scène internationale dans un rôle nouveau, face à des Occidentaux dont les attentes ne sont guère plus claires : refonte ou régulation ? Et si les Asiatiques, invités à participer au sauvetage du capitalisme mondial, demandaient des contreparties ? Comme un pouvoir accru au FMI, aux dépens des Européens ?

Ces Asiatiques ont jusqu'ici eu le bon goût de ne pas accabler les responsables de la crise actuelle, du moins pas trop haut. " Critiquer le capitalisme ? Mais nous, on veut continuer à nous en servir ! ", réplique un Chinois, en marge de la réunion de l'ASEM à Pékin. " Critiquer les Occidentaux ? A quoi bon, ils représentent toujours près de 70 % de l'économie mondiale ! ", commente un Indien. " Pallier l'absence de leadership américain ? Mais il est essentiel que les Etats-Unis continuent d'assurer notre sécurité ! ", s'affole un Japonais...

C'est un monde nouveau et inconnu. A Pékin, vendredi, le président Hu Jintao n'avait visiblement aucune envie d'y plonger à pieds joints. " Réglons d'abord nos propres problèmes, a-t-il dit. Maintenir une bonne dynamique pour notre développement économique est une importante contribution aux marchés financiers mondiaux. " Le lendemain, le premier ministre Wen Jiabao, qui passe pour le plus réformateur des deux, avait un discours plus proactif, évoquant la nécessité de poursuivre " l'innovation financière ", mais assortie de régulation.

Dimanche, un éditorial du South China Morning Post de Hongkong posait la vraie question : " La Chine doit décider si elle veut continuer à se concentrer sur son propre développement économique et sa diplomatie du carnet de chèques, ou si elle a le courage, les idées et la créativité pour prétendre à un plus grand rôle dans le leadership mondial. "

Sylvie Kauffmann

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DÉCÈS - Wang Yung-ching, le tycoon - Florence de Changy

Le Monde - Carnet, mercredi, 29 octobre 2008, p. 20

Sa vie ressemble à un conte de fées, qui commence dans le Taïwan agricole et japonais du début du XXe siècle. Le petit Wang naît en 1917 de parents pauvres, cultivateurs de thé depuis trois générations dans le sud de l'île. Il est l'aîné d'une fratrie de neuf.

Deux frères, dont Wang Yung-tsai, qui lui prêtera main-forte dans les affaires pendant soixante-dix ans, et six soeurs. A cinq ans, il prend part aux sorties familiales dans les collines pour aller ramasser du charbon à ciel ouvert. A quinze ans, riche de l'équivalent de cinq euros, une minuscule somme qu'il a empruntée, il reprend une petite échoppe de riz. Du riz au bois, il n'y a qu'un pas. Et le commerce du bois dans l'après-guerre est florissant. Arrivent les années 1950. Le Kuomintang de Tchang Kaï-chek, qui bat en retraite face aux communistes, a débarqué à Taïwan avec un million de Chinois continentaux qui ont vite mis la main sur les meilleurs secteurs. Wang Yung-ching ne fait pas de politique.

Sans rien connaître à l'industrie chimique, il se lance. Formosa Plastics Corp., fabricant de PVC, est créé en 1954. Son partenaire abandonne vite l'aventure. Wang reprend ses parts et double les capacités de production. Quatre ans plus tard, il fonde Nan Ya Plastics Corp., aujourd'hui numéro un mondial pour les tuyaux en plastique. Son groupe s'accroît, se diversifie, s'étend. Des polymères aux textiles, de la chimie à l'énergie et à l'électronique et aux équipements médicaux...

Il exporte dans le monde entier, s'implante aux Etats-Unis. Pas en Europe. " En Europe, il fut beaucoup sollicité mais sans résultat. Je dînais une fois avec lui en compagnie d'un ministre belge en visite, qui essayait de le persuader d'investir 400 millions de dollars dans le complexe pétrochimique d'Anvers. En vain", raconte le représentant honoraire de la Belgique à Taïwan, Hugues Mignot.

En fait, l'homme a les yeux rivés sur la terre qu'avait quittée son arrière-grand-père : la Chine continentale. Fin 1989, cinq mois après le massacre de la place Tiananmen, alors que nombre d'entreprises occidentales ont quitté (ou fait mine de quitter) la Chine, en guise de protestation, Wang Yung-ching rencontre Deng Xiaoping. Il lui expose son projet de 7 milliards de dollars, la construction d'une usine pétrochimique à Xiamen, dans la province du Fujian, juste en face de Taïwan. Mais à Taïwan, ce sont désormais les " indépendantistes " qui sont au pouvoir. Et le président Lee Teng-hui lui oppose le chantage suivant : s'il investit en Chine, ses lignes de crédit vont très vite s'assécher à Taïwan... En 1992, le terrain est mis à sa disposition par le gouvernement chinois. L'accord ne sera finalement jamais signé. Ce fut pour Wang son plus douloureux échec professionnel. Il se rattrape par la suite quand les flux d'investissement massifs se banalisent et se multiplient de Taïwan vers la Chine.

A la fin de sa vie, Wang Yung-ching a accumulé une fortune personnelle de 6,8 milliards de dollars ( 5,4 milliards d'euros) et un empire industriel évalué à près de 60 milliards d'euros. Mais c'est avant tout son tempérament d'ascète déterminé et généreux qui lui a valu son immense popularité tant auprès du public qu'auprès des gouvernements successifs du pays. A 89 ans, il termine l'organisation de sa succession. Il laisse deux fils et sept filles, nés de sa seconde et troisième épouse, plus entreprenants les uns que les autres. Il est réconcilié avec son fils aîné, Winston, qu'il avait répudié suite à une infidélité de celui-ci, et qui dut s'exiler aux Etats-Unis. La Bourse de Taïpeh a rendu hommage à sa façon à celui qui avait été surnommé le " roi du management " : dix des entreprises du groupe ont chuté du maximum autorisé (3 %) quand son décès, le 15 octobre, fut annoncé. Mais peu d'inquiétudes pèsent sur l'avenir de l'empire Formosa.

Florence de Changy

19 janvier 1917

Naissance

dans la commune de Hsintien (Taïwan)

1954

Fonde

le groupe Formosa Plastics Corp

15 octobre 2008

Mort aux Etats-Unis

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La Chine éternelle - Jacques Attali

VOIR AUSSI LE CLASH EN VIDÉO - JACQUES ATTALI QUITTE LE PLATEAU DE LAURENT RUQUIER

Express.fr - 30 septembre 2008

Pendant que le tsunami financier s’étend, la Chine continue, triomphalement, à annoncer de bonnes nouvelles : la sortie de trois Chinois dans l’espace, (une première depuis celles d’Américains et de Russes), est l’occasion d’annoncer pour 2020 la mise sur orbite d’une station spatiale indépendante et d’une base lunaire pour 2060. La création d’une usine d’assemblage d’Airbus est aussi l’occasion de rappeler la décision d’acquérir 2800 avions nouveaux avant 2020. La Chine est aussi devenue un des plus puissants acteurs financiers du monde. Sa banque centrale détient près de 1000 Mds $ de réserves. Un de ses fonds souverains dispose 200 milliards d’euros. Trois de ses banques font désormais partie des cinq plus grosses capitalisations boursières bancaires du monde et l’une d’elles, ICBC (Industrial & Commercial Bank of China) est même devenue la banque la plus rentable de la planète. Ces institutions ont investi 3 Mds$ dans le fonds américain Blackstone et 5 Mds$ pour détenir 9,9% de Morgan Stanley.

Mais le tsunami n’épargnera personne et cette crise financière est, pour la Chine comme pour le reste du monde, pleine de menaces. Parce que sa croissance est très dépendante de celle des Etats-Unis (au moins le quart de ses exportations partent vers les Etats-Unis) ; et parce que ses avoirs sont très largement investis en actions et en bons du Trésor américain (la Chine détient 15% de la dette publique américaine et 70% de ses réserves sont libellées en billet vert). En conséquence, la croissance économique chinoise, qui est encore de 9% par an peut tomber beaucoup plus bas, entrainant une aggravation du chômage, qui pourrait toucher des centaines de millions des gens. Le peuple chinois, qui commence à ne plus tolérer la façon dont il est traité (comme le montre les grèves à répétition et les manifestations après les scandales du lait) pourrait se mettre en colère, comme il l’a fait si souvent dans son histoire, et la situation pourrait déraper en des émeutes violentes, qui pourraient même, dans un cas extrême, mettre fin au régime communiste. Etrange scénario, digne de Kafka : la fin du système soviétique, qui a entrainé une libéralisation outrancière des forces du marché, provoquerait l’explosion du dernier grand régime communiste du monde. La Chine l’a compris, et ne le prend pas à la légère : le moment approche où elle retirera en partie ses capitaux d’occident, pour s’occuper d’elle-même. C’est alors que le monde tremblera.

j@attali.com

lundi 27 octobre 2008

L'opposition mobilise contre la politique chinoise du président Ma

Le Monde - International, mardi, 28 octobre 2008, p. 7

TAÏPEH. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont manifesté, samedi 25 octobre, à Taïwan, pour dénoncer le réchauffement des relations avec la Chine continentale. La mobilisation était sans précédent depuis l'élection du président taïwanais Ma Ying-jeou, dont l'opposition critique une approche jugée trop amicale à l'égard de Pékin. Le principal négociateur chinois pour les questions taïwanaises, Chen Yunlin, est attendu le 3 novembre à Taïwan. - (Reuters.)

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ANALYSE - La fin de l'exception économique chinoise - Gabriel Grésillon

Les Echos, no. 20287 - Idées, lundi, 27 octobre 2008, p. 14
La Chine s'apprête à rentrer dans le rang économiquement et à revenir à des niveaux de croissance moins inédits. Au moment où les pays développés sont frappés par la récession, analyse Gabriel Grésillon, elle ne peut plus tout miser sur l'export et doit actionner sa dynamique interne.

Il y a un âge où la maturité s'impose d'elle-même. Pour Pékin, ce doit être trente ans. Au moment de souffler les bougies de trois décennies de capitalisme, la Chine s'apprête à rentrer dans le rang, économiquement parlant. L'empire du Milieu est aujourd'hui une sorte d'ovni économique qui s'est construit par le commerce extérieur, une étrange créature hypertrophiée au niveau de ses exportations mais malingre pour ce qui concerne la consommation des ménages. Depuis longtemps, les stratèges de Pékin savent que ce déséquilibre n'est pas sain à long terme. Aujourd'hui, au moment où les marchés développés entrent en récession, Pékin va être obligé d'actionner sa dynamique interne tout en retrouvant des rythmes de croissance moins inédits. La crise financière qui secoue la planète servira de déclic à des réformes qui devenaient de plus en plus inéluctables. L'objet économique non identifié n'a plus d'autre choix que de s'engager sur le chemin de la normalisation.

Les exportateurs chinois sont en train de subir un choc violent. Les secteurs à faible valeur ajoutée et dépendant fortement de l'exportation sont menacés. Plus de la moitié des entreprises fabriquant des jouets ont notamment fait faillite. Certes, la Chine s'est engagée dans une diversification des destinations de ses exportations, mais cela ne suffit pas à l'immuniser face au choc actuel. Après des années de croissance annuelle supérieure à 20 %, les exportations chinoises semblent actuellement augmenter à des rythmes tournant autour de 10 %. Pas de catastrophe, donc, mais un incontestable coup de frein, qui se répercute directement sur la croissance économique. Celle-ci n'a été « que » de 9 % au troisième trimestre, un chiffre plus bas que toutes les prévisions. Dans un pays où l'on considère souvent qu'il faut une expansion d'environ 8 % pour éviter que le chômage n'augmente et n'entraîne des tensions sociales, les autorités sont entrées dans une zone de turbulences.

A y regarder de près, toutefois, c'est dès 2006 que le rythme de croissance des exportations chinoises a commencé à fléchir. L'économie internationale était pourtant, alors, florissante. Pour expliquer cette apparente contradiction, on peut ici s'intéresser à l'analyse développée par Hervé Liévore, stratégiste chez AXA IM. La Chine, explique-t-il, a développé une force de frappe inégalable sur les produits à faible valeur ajoutée, grâce aux économies d'échelle. En produisant des quantités astronomiques, elle était imbattable sur le prix. Reine du « low cost », elle semble aujourd'hui avoir « mangé son pain blanc », juge l'économiste, car elle a atteint dans ce type de produits « une part du marché mondial extrêmement élevée, tendant parfois vers le monopole ». Comment continuer à croître fortement sur des marchés où l'on s'est déjà taillé la part du lion ? En dix ans, les exportations chinoises sont passées de 3,4 % à 9 % des exportations mondiales ! On imagine mal la Chine continuer indéfiniment sur cette lancée, sachant que seuls les Etats-Unis ont franchi « durablement » la limite des 10 % dans l'histoire économique, juge-t-il. Condamnée à s'attaquer à des produits à plus forte valeur ajoutée, la Chine ne pourra plus écraser ses concurrents par les seules économies d'échelle, et elle va retrouver des conditions de concurrence plus classiques avec les autres pays. Et gagner des parts de marché moins vite.

Pour des raisons exogènes, à la fois conjoncturelles et structurelles, la Chine doit donc tirer un trait sur l'époque où elle comptait essentiellement sur son moteur externe. Mais ses propres mutations sociétales la poussent dans la même direction. Car l'époque où l'on croyait la « réserve de main-d'oeuvre » chinoise inépuisable semble révolue : les ruraux chinois prêts à migrer vers les villes ne seraient plus qu'une cinquantaine de millions. C'est la conclusion à laquelle est arrivé l'économiste chinois Cai Fang, qui dirige l'Institut de démographie et d'économie du travail. Celui-ci en déduit que leur afflux va cesser d'augmenter d'ici à un an ou deux, et commencera même à baisser dans une petite dizaine d'années. Pour Cai Fang, les pénuries de travail que l'on observe déjà depuis quelques années dans les zones industrielles les plus anciennes sont en train de se répandre sur le territoire. Le coût du travail non qualifié va donc, inévitablement, augmenter. A moyen terme, les prix des produits de « l'usine du monde », eux aussi, vont se normaliser.

Or les travaux de Cai Fang sont relayés par les médias officiels, ce qui prouve que les autorités sont déterminées à s'adapter à cette nouvelle donne, donc à actionner la demande interne. Les mesures annoncées ces dernières semaines vont, d'ailleurs, dans ce sens. D'énormes investissements dans les infrastructures, notamment ferroviaires, sont prévus. Mais, comme une stratégie équivalente avait déjà sauvé la Chine du marasme asiatique il y a dix ans, le pays est déjà bien doté en infrastructures. L'effet démultiplicateur sur l'économie sera donc moindre. L'heure est donc venue de stimuler la consommation des ménages, donc d'injecter du pouvoir d'achat. Un vaste plan de soutien aux 800 millions de ruraux a été annoncé, visant à doubler leurs revenus d'ici à 2020. Il y a fort à parier que la mise en place prévue d'un système de sécurité sociale sera également accélérée : c'est l'absence de protection sociale qui oblige les Chinois à épargner et limite leur capacité de consommation. Toutes ces recettes ont pour finalité de permettre à l'économie chinoise de croître en utilisant plus ses propres ressources. Leur mise en oeuvre prendra beaucoup de temps, contrairement aux grands travaux impulsés par Pékin. Mais leur coût ne fait guère peur à un Etat qui a dégagé, cette année, un excédent budgétaire, et dont la dette publique ne représente que 20 % du PIB. Le keynésianisme est un luxe que peut s'offrir la Chine.

On pourrait ajouter que les autorités sont désormais conscientes des effets pervers pour l'économie mondiale de la politique du « tout-export ». Car, en inondant le monde de ses produits, Pékin a amassé un trésor de guerre. Lequel a été majoritairement placé dans la dette américaine, alimentant ainsi un déséquilibre à l'origine de la crise mondiale actuelle. A trente ans, la Chine capitaliste ne peut donc plus échapper au rôle adulte qu'elle doit jouer dans la gouvernance de l'économie mondiale, comme en témoignent les discussions de ce week-end au forum de l'Asem. A tout point de vue, la crise financière fera d'elle une puissance économique mature et un pôle majeur de la croissance mondiale. A terme, il restera alors une question à résoudre : peut-on devenir une économie « normalisée », autonome et réactive aux attentes de ses propres consommateurs, tout en gardant un système politique dirigiste ?

Note(s) :

GABRIEL GRÉSILLON est journaliste au service International des « Echos ». ggresillon@lesechos.fr

PHOTO : James Whitlow Delano

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Les pays d'Asie de l'Est se dotent d'un fonds d'échange de devises de 80 milliards de dollars - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20287 - International, lundi, 27 octobre 2008, p. 7
Sommet - Les pays d'Asie de l'Est se dotent d'un fonds d'échange de devises de 80 milliards de dollars. Le nouveau fonds doit être créé l'an prochain pour prévenir toute propagation d'une nouvelle crise financière régionale. Réunissant la Chine, le Japon, la Corée du Sud et les pays de l'Asean, le fonds s'inspire de l'initiative de Chiang Mai, lancée au lendemain de la crise de 1997.

Les livraisons en Chine menacées

Les Echos, no. 20287 - Marchés, lundi, 27 octobre 2008, p. 33

Mines - Les livraisons en Chine menacées
Minerai de fer.

Roger Agnelli ne fléchit pas. Le patron de Vale envisage de cesser les livraisons de minerai de fer aux sidérurgistes chinois s'ils ne paient pas une prime de 12 % sur les prix annuels fixés début 2008. A l'époque, le groupe brésilien avait remporté une hausse de 71 % pour les contrats courant depuis le 1er avril. « Nous ne sommes pas pressés. Nous allons négocier de nouveaux contrats pour 2009. D'ici là, nous ne livrerons pas de minerai supplémentaire tant que l'augmentation de 12 % n'est pas acceptée », a déclaré vendredi Roger Agnelli lors de la présentation des trimestriels. « La demande chinoise de minerai de fer est beaucoup plus faible », a reconnu Fabio Barbosa, responsable des finances de Vale. Mais « elle va rebondir au premier semestre 2009 », a-t-il ajouté. Pour lui, la crise du marché du minerai de fer ne durera encore que deux à trois mois.

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dimanche 26 octobre 2008

Chinois, si vous saviez ! - Jean-Luc Domenach

Le Nouvel Observateur - Jeudi, 16 octobre 2008, p. 66

Le vrai Mao reste inconnu dans son pays.

L'infirmité de la mémoire historique sur le communisme national, ses erreurs et ses horreurs, est largement responsable du mépris populaire pour tout ce qui est politique

Comprendre la Chine reste chose bien difficile : à peine avons-nous enfin pris la mesure des horreurs dont Mao Zedong s'est rendu responsable à la tête de ce pays qu'il nous faut comprendre pourquoi, à la différence de Hitler ou de Staline, il n'a pas été jeté dans les poubelles de l'histoire. Son portrait demeure affiché au-dessus de l'entrée du Palais impérial, sur la place Tiananmen, aux côtés des autres grands hommes du communisme mondial, et le régime de Pékin continue de le considérer comme son héros éponyme. L'abondante bibliographie des ouvrages autorisés sur le Grand Timonier, pour la plupart très superficiels, ne laisse voir aucun de ses vices bien connus, que documentent des témoignages et des études publiés à Hongkong et à Taiwan -sa consommation effrénée de jeunes femmes par exemple. Dans cette littérature, son incapacité à nouer des relations de confiance avec ses camarades de combat et son incroyable insensibilité devant les millions de morts de faim dont il a été responsable ainsi que devant les horreurs de la répression politique n'apparaissent qu'à l'issue de patients recoupements.

Il y a plus. Dans la mémoire populaire, la personnalité de Mao Zedong est de plus en plus souvent enrobée de nostalgie. On vend sur les marchés les souvenirs de son époque: petits bustes de plâtre, médaillons et vieilles photos, que l'on retrouve dans les demeures les plus humbles ou encore dans les taxis. L'explication? A l'époque, au moins, l'Etat était respecté, et ses serviteurs, probes; la Chine était pauvre mais respectée de l'étranger et les jeunes gens se tenaient convenablement!

Cette combinaison de contrôle politique et de culte populaire de l'image de Mao est un remarquable reflet des ambiguïtés politiques et des mutations sociales qui caractérisent l'évolution de la Chine depuis la mort du Grand Timonier en 1976. D'un côté, en effet, si elle obéissait au même ressort que la soviétique - la prise de conscience de la supériorité écrasante du mode de développement capitaliste -, la perestroïka chinoise a été infiniment plus contrôlée politiquement. Et cela pour une raison historique simple: le rôle de la Révolution culturelle. La purge violente mais peu sanglante qui lui a été infligée a fait comprendre à l'élite communiste, qui a survécu, qu'il fallait changer de cour. Et en même temps elle lui valait une confiance massive de la population que Gorbatchev n'est jamais parvenu à conquérir.

Ainsi s'explique la première particularité du nouveau cours chinois à partir des années 1978-1979: il a été conduit par un appareil à l'origine maoïste. Il faut en effet se souvenir que Deng Xiaoping était dans les années 1930 l'un des cadres de guérilla les plus fidèles de Mao Zedong, au point d'avoir été contraint au divorce pour l'avoir suivi. La deuxième particularité est donc que la politique chinoise a été systématiquement protégée des transformations économiques et sociales impulsées par la modernisation: le régime est demeuré la dictature despotique d'un parti communiste qui a simplement décidé d'abandonner ses ambitions totalitaires pour en rester à une «phase préliminaire du socialisme» de plus en plus teintée de capitalisme. Mais - troisième particularité - ce capitalisme est lui-même solidement encadré par le pouvoir politique et fonctionne à son avantage à la fois politique - l'entreprise demeure un instrument de contrôle -, social - les familles de dirigeants ou de cadres ont formé la nouvelle couche d'entrepreneurs et de prédateurs - et bien sûr monétaire, car les profits sont immenses.

Dès lors, si la nouvelle classe dirigeante chinoise ne veut certes plus de Mao ni de son régime, elle n'est pas non plus prête à renier son héritage puisqu'elle en provient historiquement. Le résultat est donc simple: tout en se débarrassant du culte maoïste, de ses rituels et de ses obligations morales, on continue d'en honorer la mémoire officielle et l'on entretient distraitement une sorte de légende rose qui, en cas de besoin, pourra rougir brutalement pour légitimer une reprise en main.

En effet, le pouvoir est conscient de ce que les énormes progrès économiques du pays ont entraîné des mutations sociales extraordinaires, en particulier une individualisation de la société qui rend beaucoup plus aléatoire l'obéissance de la population. Il sait bien que celle-ci est mécontente de la confiscation du pouvoir et furieuse des privilèges de la classe dirigeante ainsi que de l'universelle corruption. Il n'ignore pas que la mémoire de Mao légitime aussi la colère populaire contre les inégalités sociales et, plus particulièrement, une nouvelle tendance politico-idéologique apparue au cours des années 1990 à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du Parti, la dite «nouvelle gauche», qui, au nom de la défense du peuple et de la nation, exige un retour aux objectifs initiaux du Parti.

D'un autre côté, comme l'ont montré les événements du printemps 2008, de la répression des émeutes tibétaines à la politique efficace et compassionnelle appliquée après le séisme du Sichuan, les autorités chinoises considèrent que là n'est pas le pire danger. Elles n'hésitent donc pas à donner des satisfactions aux passions nationalistes et aux attentes populistes. Dans une période de mondialisation accélérée, le plus grand danger, à leurs yeux, est l'attraction de l'Occident, c'est-à-dire l'éventuelle renaissance d'un mouvement démocratique du type de celui de 1989.

Le populisme nationaliste doit certes être manié avec précaution pour éviter qu'il ne légitime des émeutes majeures. Le régime s'y emploie efficacement en segmentant les mécontentements sociaux et en maintenant sous contrôle la fièvre nationaliste de l'opinion. Typique, de ce point de vue, a été, au printemps 2008, le fait que, dans le même temps où il attisait la passion antioccidentale, le pouvoir chinois fermait la fenêtre sur la haine antijaponaise et antitaiwanaise en achevant la réconciliation avec Tokyo et avec le parti Guomindang, qui venait de remporter les élections à Taiwan.

Dans ce jeu très habile, la symbolique ambiguë qui se dégage de la mémoire de Mao Zedong est donc constitutive du problème et aussi de sa solution. Elle contribue à légitimer la colère populaire, mais peut servir à la réprimer, car après tout c'est bien Mao qui a fondé ce régime et construit son imposant système répressif. Il n'est donc pas inutile de laisser survivre son culte populaire, un peu comme autrefois les autorités impériales laissaient survivre le bouddhisme et des cultes populaires locaux.

Pourtant, si impressionnante qu'elle soit, la maîtrise tactique des autorités chinoises engendre à la fois un risque et un coût. Le risque vient de ce que le culte populaire de Mao pourrait contribuer à la formation de solutions délirantes dans le cas où s'accélérerait l'inéluctable déclin de la croissance chinoise et où éclaterait telle ou telle crise régionale. Le coût aggraverait ce risque: c'est celui de toutes les mémoires tronquées et mensongères. Le véritable Mao Zedong est inconnu en Chine, alors qu'il fait l'objet de recherches remarquables dans les universités occidentales; de même, malgré quelques publications documentaires, l'histoire du régime qu'il a fondé demeure dans les limbes.

On ne peut donc éviter de penser que l'infirmité de la mémoire historique sur le communisme chinois, ses erreurs et ses horreurs, est largement responsable du sous-développement politique de la Chine, en particulier du mépris populaire pour tout ce qui est politique. Il engendre un pragmatisme qui peut servir à dénouer des conflits locaux et momentanés. A d'autres moments, il ouvre la voie soit à une indiscipline fiscale d'une ampleur incroyable -le devoir fiscal est infiniment moins respecté que partout ailleurs et les évasions de capitaux sont massives -, soit à des explosions de violence ou à des réactions infantiles comme celles qui ont marqué les polémiques sur le Tibet. Devenue économiquement puissante, la Chine ne cessera d'être un nain politique que lorsqu'elle regardera son passé - et Mao Zedong - en face.

Encadré(s) :

Directeur de recherche à Sciences-Po Paris (Ceri), Jean-Luc Domenach a publié en 2008, chez Perrin, «Comprendre la Chine d'aujourd'hui» et «La Chine m'inquiète».

© 2008 Le Nouvel Observateur. Tous droits réservés.

DERNIÈRE IMAGE DE CHINE


24/10/2008

Un membre de la garde d'honneur vérifie l'alignement de ses collègues avant le début de la cérémonie de bienvenu du Premier ministre vietnamien à Pékin, Chine, le 22 octobre 2008.

Crédit : AP / SIPA

Réforme du capitalisme : M. Sarkozy veut des " décisions concrètes " - Arnaud Leparmentier

Le Monde - Economie, lundi, 27 octobre 2008, p. 11

Ce fut une succession de monologues, sans échanges vraiment libres, pour aboutir à une déclaration finale très générale. Alors que les marchés financiers connaissaient de graves turbulences, les dirigeants de l'Union européenne (UE) et d'Asie réunis pour le septième sommet de l'ASEM (Forum Asie-Europe) ont consacré la journée du vendredi 24 octobre à la crise financière dans le Grand Palais du peuple, sur la place Tiananmen, à Pékin.

Dans un communiqué commun, les 27 pays de l'UE et 16 pays d'Asie, dont la Chine, l'Inde et le Japon, se sont prononcés pour " une réforme réelle et de fond des systèmes internationaux monétaire et financier " et un rôle " important " du FMI " dans l'assistance aux pays sérieusement touchés par la crise, à la demande de ces derniers ". Forum sans pouvoir décisionnaire, l'ASEM ne mentionne pas les changes, alors que les Français ont toujours critiqué la sous-évaluation de la devise chinoise.

Cette prudence donne un sentiment de déjà-vu pour Nicolas Sarkozy, une semaine après la rencontre de Camp David, où George Bush avait d'emblée rappelé au chef de l'Etat son attachement aux " fondements d'un capitalisme libre ".

Certes, le président français a obtenu la convocation le 15 novembre d'un sommet des principaux dirigeants de la planète. Elle est désormais soutenue par l'ASEM. Mais cette réunion, qu'il a appelée de ses voeux à la tribune des Nations unies fin septembre, risque de tourner à la grand-messe plutôt qu'à la refondation du capitalisme. " Il est essentiel qu'il y ait des décisions concrètes. Je crains que les Etats-Unis veuillent en rester à des principes et des généralités ", a déclaré vendredi M. Sarkozy à son homologue chinois Hu Jintao, selon des propos rapportés par l'Elysée.

Le président américain George Bush a convié près de Washington les vingt pays du G20 alors que l'Elysée souhaitait un format plus petit et plus efficace, moins susceptible d'" ouvrir la boîte de Pandore des demandes " : le G8 (Etats-Unis, Japon, Canada, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et Russie) et le G5 (Chine, Inde, Brésil, Mexique et Afrique du Sud). Surtout, les Etats-Unis ne seront guère en mesure de prendre des décisions : contrairement aux souhaits initiaux de M. Sarkozy, l'Elysée ne croit plus à la présence du président élu des Etats-Unis. Il va donc falloir travailler avec M. Bush jusqu'au 20 janvier.

Les Asiatiques seront-ils un secours pour l'Europe, alors que celle-ci leur avait fait la leçon en 1997 ? Dans cette crise, " nous nagerons ensemble ou nous coulerons ensemble ", a déclaré le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso. Si les pays occidentaux sont " dans le bain ", les Asiatiques " voient la baignoire déborder et commencent à avoir les pieds mouillés ", résume un conseiller de M. Sarkozy. Le sentiment d'urgence varie selon le degré d'imbrication des pays dans l'économie mondiale. L'Inde semble en retrait. La Chine, qui sera représentée au sommet du G20 et avait baissé en octobre ses taux d'intérêt en même temps que les Occidentaux, entend " continuer de travailler avec le reste de la communauté internationale ", a déclaré Hu Jintao. " Nous allons vigoureusement accroître la demande intérieure, en particulier la demande des consommateurs. "

M. Sarkozy, qui n'a parlé ni du dalaï-lama ni du prix Sakharov attribué au dissident chinois Hu Jia avec le président Hu Jintao, mais a évoqué à la tribune de l'ASEM l'universalité des droits de l'homme, a profité de sa visite pour commencer à effacer la brouille intervenue suite aux émeutes au Tibet. L'an prochain, les deux pays comptent fêter en grande pompe le 45e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre Paris et Pékin.

Arnaud Leparmentier

© 2008 SA Le Monde. Tous droits réservés.

VIDÉO - Meeting between China and EU in Beijing


Seventh Asia-Europe Meeting in the middle of the financial Crisis in Beijing, China
EuroNews

vendredi 24 octobre 2008

RETRANSCRIPTION AUDIO - Le sommet Asie-Europe - Alexandre Adler

France culture - Chronique internationale, vendredi, 24 octobre 2008


tilidom.com


L’actualité en politique internationale est rarement faite par les rencontres institutionnelles. Les institutions proposent, et puis l’histoire dispose. Un sommet Europe-Asie ne mériterait pas un commentaire immense si nous n’étions pas au cœur de la crise financière mondiale qui affecte aujourd’hui la totalité de la planète et impose aussi, de temps en temps, des mesures communes à des régions du monde qui restent assez distantes les unes des autres.
Un mot sur ce sommet Europe-Asie. C’est une idée partagée par l’ancien Premier ministre et toujours génie tutélaire du lieu Lee Kwan-Yew de Singapour, et le Président Chirac qui, on le sait, avait une passion pour les cultures de l’Asie et pour son importance – qui probablement, n’a pas eu d’équivalent dans la politique française. De sorte que les deux hommes ont réussi à mettre sur pied ce sommet qui est un peu la réplique, le rééquilibrage des sommets Amérique-Asie qui ont lieu de façon régulière eux aussi. Donc, il n’y a là rien de bien grave, sinon que la Chine vient au milieu de ses vassaux, de ses amis, de ses partenaires discuter avec les Européens, et que d’ordinaire, les Chinois aiment d’autant mieux cette rencontre que l’Union européenne n’est pas vraiment une puissance et que ils n’ont pas à y prendre des engagements trop contraignants.
Seulement, ici, ce dont on va discuter est fondamental pour la crise, en tout cas déjà pour la juguler. En effet, la Chine a une position absolument privilégiée, et ceci maintenant depuis une quinzaine de jours. On sait que la croissance chinoise demeure assez forte, le FMI la met autour de 9%. On sait que la Chine a des réserves de change considérables que si elles étaient jetées dans la bataille aujourd’hui épongeraient à peu près toutes les destructions de richesse qui ont été commises au Nord (mais, ça il ne faut y rêver, ni non plus spolier les Chinois). Mais en revanche, il y a un moyen plus utile d’utiliser ces réserves, et c’est ce dont la Chine débat.
Aujourd’hui, en effet, malgré un taux de croissance très fort, malgré une progression de la richesse individuelle qui n’est pas négligeable, les Chinois ont continué à maintenir des taux d’investissement très élevés : les profits faits par les entreprises ne sont pas redistribués, ils sont accumulés et ils servent à accélérer encore la croissance tant le régime est obsédé par ce résultat qui l’attend de l’hypercroissance, non sans raison, de temps à autre, parfois avec des excès.
Et aujourd’hui, le moyen pour l’économie mondiale de repartir est que la Chine augmente sa consommation. Elle peut augmenter sa consommation sans augmenter énormément sa production en acceptant de s’endetter et pour commencer en brûlant ses réserves et en le redistribuant sous forme de hausses des salaires à tous les Chinois, de manière à ce que la Chine augmente ses importations évidemment, et maintienne ainsi une activité importante. Seulement, les Chinois hésitent beaucoup. C’est la fin de leur modèle. Les conséquences sociales d’une telle expansion keynésiennes qui sont classiques en théorie économique ne sont peut-être pas bien perçus chez les uns et chez les autres.
Commencer à donner la priorité aux consommateurs et aux individus, n’est-ce pas franchir la première étape de la démocratisation de la Chine qui pose d’immenses problèmes ?
Le Premier ministre Wen Jiabao qui est un modéré connu, a déjà dit que la Chine faisait des efforts dans la démocratie, qu’elle n’y est pas parvenue encore et qu’il faut l’y aider. C’est une façon comme une autre de porter la critique dans une direction que l’hypercroissance avait rendu jusqu’ici monolithique. Espérons que les Européens sauront parler encore une fois d’une seule voix et habilement, pour effectivement provoquer dans cette Asie relativement préservée, mais qui doit bouger très vite les réflexes qu’elle n’a pas acquis jusqu’alors.

RETROUVER LES AUTRES CHRONIQUES AUDIO
ET LES AUTRES CHRONIQUES PAR ALEXANDRE ADLER.

Chinois en Zambie : l'amitié entre les peuples, sauce aigre-douce - Serge Michel

Le Monde 2 - 24 octobre 2008 - Couverture spéciale

A la fin des années 1990, la Chine a investi en hommes et en moyens dans un pays pauvre d'Afrique australe, la Zambie, pour y exploiter sa seule richesse, le cuivre. Les Chinois ont été accueillis à bras ouverts. Dix ans plus tard, rien ne va plus : leur management brutal se heurte à une culture syndicale et démocratique, qui leur est étrangère. Les autorités zambiennes apportent toujours un soutien sans faille aux Asiatiques. Mais l'élection présidentielle du 30 octobre pourrait changer la donne.

Vivien Kalunga n'a jamais été enchantée par la présence massive des Chinois dans son pays. Mais elle a longtemps crédité les hommes jaunes d'une certaine bonne volonté et d'une indéniable énergie. Qualités qui ne pouvaient pas faire de mal à la Zambie, un pays d'Afrique australe dont les 11 millions d'habitants ont une espérance de vie de 38 ans et sont pour la moitié au chômage. C'était du moins son sentiment jusqu'au 13 juillet 2004. Ce jour-là, elle a accouché de son deuxième enfant. A la surprise générale, il avait les yeux bridés.

"Je n'aurais jamais dû aller travailler dans ce restaurant chinois de Kitwe", dit-elle aujourd'hui avec amertume. Peu après la naissance du petit Jonathan, le patron du restaurant, un certain Cheng Yu, a disparu en laissant pour seul cadeau un vieux téléviseur Sansui. Le mari de Vivien, froissé par l'épisode, a refusé que l'enfant vive sous leur toit. Et l'ambassade de Chine, à Lusaka, n'a jamais répondu aux sollicitations de la jeune femme. Si bien que Jonathan vit avec ses grands-parents dans un village éloigné, dont les moustiques lui ont inoculé le paludisme. Il ne voit sa mère qu'une fois par mois.

La Chine a longtemps considéré la Zambie comme la vitrine de sa bonté envers les peuples d'Afrique. En 1970, six ans après l'indépendance de la colonie britannique, Mao Zedong a envoyé 25 000 compatriotes pour construire le Tanzam (Tanzanie-Zambie), ce chemin de fer de 1 870 km entre les deux capitales, Dar es-Salaam et Lusaka, qui a désenclavé le pays et lui a permis d'exporter son cuivre sans passer par l'Afrique du Sud de l'apartheid. Le projet a été inauguré en grande pompe six ans plus tard et les Chinois sont repartis. Vers la fin des années 1990, ils sont revenus, mais cette fois sans autre idéologie que de développer leurs affaires, dans l'agriculture, le commerce et surtout les mines de cuivre, à Chambishi, dans la région du cuivre, la Copperbelt. Officiellement, il y a 3 500 Chinois dans le pays, mais l'opposition affirme qu'ils sont 80 000. Et les choses sont en train de mal tourner : la Zambie est devenue le pays où le sentiment antichinois est le plus fort de toute l'Afrique.

C'est ce dont s'est rendu compte l'ingénieur Ma Jong, 40 ans, en pénétrant à la mi-juin 2008 dans le tribunal du township de Chambishi, qui abrite tant bien que mal 7 000 personnes en contrebas de la mine. Il est accusé d'avoir sévèrement battu, deux semaines plus tôt, un mineur qui était aussi délégué syndical, Richard Sinkala. Ce dernier se serait plaint de ce que la société chinoise propriétaire de Chambishi, la China Nonferrous Metal Industry's Foreign Engineering & Construction (NFC) ou sa filiale NFC Africa Mining, n'ait pas payé de compensation suffisante après la mort d'un ouvrier. Face au juge, Ma Jong, hagard, ne bénéficie que du soutien de son traducteur. Le reste de la salle, une centaine de mineurs et d'habitants de Chambishi debout ou entassés sur des bancs de bois, lui est hostile et se met à siffler lorsque l'accusé pose cette question au plaignant : "Où sont tes témoins ?"


Un Chinois en prison

Un des témoins, justement, aurait vu l'ingénieur chinois saisir l'ouvrier africain par la ceinture à la sortie de l'autobus et le conduire ainsi en direction de son bureau. C'était l'équipe de nuit, les autres bureaux étaient déserts. C'est là que le tabassage en règle aurait eu lieu mais d'abord, selon Richard Sinkala, l'accusé aurait allumé une cigarette et demandé : "Tu sais qui je suis ? – Non. – Alors tu vas bientôt le savoir."

Or ce témoin n'a pas répondu à la convocation du tribunal. Un soupir de désespoir parcourt la salle lorsque le greffier crie en vain son nom dans la salle ainsi qu'au dehors, où tous ceux qui n'ont pas trouvé de place attendent le verdict sous un soleil de plomb. "Encore de l'intimidation des Chinois, glisse un mineur du nom de Gilan. Richard est le premier à oser porter plainte, mais nous avons tous été battus par les Chinois une fois ou l'autre. Ils sont très nerveux, très colériques." Richard Sinkala, en effet, n'a pas froid aux yeux. " NFC Mining m'a offert de l'argent pour que je me taise, dit-il, mais j'ai refusé. Je veux que M. Ma soit renvoyé en Chine." Sa seule preuve tangible est un dossier médical établi la nuit de l'incident. Ma Jong nie en bloc et sa déposition doit être interrompue. Le juge a encore une dizaine de divorces à prononcer ce jour-là et quelques cas de bagarres de rue à éclaircir. Il est obligé de remettre l'audience à la semaine suivante. Là, coup de théâtre : il ordonne la mise en détention de l'ingénieur chinois, afin d'être certain qu'il se représentera. Explosion de joie dans la salle : c'est la première fois qu'un Chinois va passer quelques nuits dans la prison de la ville.

Davy Simfukwe, le juge, s'est en quelque sorte spécialisé dans les affaires sino-zambiennes. Ce qui n'est pas facile. Après l'audience, à la question de savoir s'il subissait des pressions, il s'est contenté de sourire. Quelques jours plus tard, il devra instruire le procès de six ouvriers zambiens du chantier de la fonderie chinoise de cuivre CCS. Ils sont accusés d'avoir brûlé un camion et fait pour 150 000 euros de dégâts lors d'une grève début mars 2008. Les 500 ouvriers zambiens, payés moins de 75 euros pour 29 jours de travail par mois, s'étaient alors battus à coups de pierres contre leurs 200 contremaîtres chinois et avaient même brièvement pris en otage l'un de leurs patrons asiatiques. Ils ont tous été licenciés, puis réengagés après d'intenses négociations, à l'exception de quelques dizaines parmi lesquels CCS tente d'identifier des meneurs pour lesquels la compagnie chinoise va demander une lourde condamnation.

Mais la plus grosse affaire, à Chambishi, ne sera jamais portée devant le tribunal. C'est en quelque sorte le péché originel des Chinois sur place. En avril 2005, une explosion souffla les 52 ouvriers zambiens de l'usine de dynamite BGRIMM, elle aussi propriété du géant étatique NFC. Il n'y eut aucun survivant. A parcourir les rues terreuses de Chambishi, il semble que chaque famille y a perdu un fils ou un neveu. Celui de la tenancière du restaurant Lion ; celui du patron du magasin de meubles Cholynda, ou encore Howard, le fils aîné de l'électricien Bill Sinyangwa. "Le président a vendu le pays aux Chinois, lâche ce dernier, interrogé sur le pas de sa porte. Et il nous a vendus en même temps."

Montée de l'hostilité

De l'usine de dynamite, il ne reste qu'une publicité absurde sur un panneau rouillé au bord de la route : "BGRIMM transforme vos cailloux en or", et un petit mémorial au milieu des tombes. Si l'on rassemble les pièces du puzzle, on se demande pourquoi l'usine n'a pas explosé plus tôt. Les ouvriers étaient choisis à la journée parmi la foule de jeunes chômeurs qui se présentaient chaque matin devant le portail. Ils n'étaient pas formés pour manipuler des produits à haut risque et travaillaient à cinquante dans une pièce prévue pour quinze personnes. Ils n'étaient pas fouillés à l'entrée pour s'assurer qu'ils n'avaient ni allumettes, ni briquet, ni téléphone dans les poches – un téléphone portable a été retrouvé parmi les lambeaux de chair après le drame. Et surtout, les liquides inflammables et les détonateurs étaient manipulés au même endroit.

L'enquête sur les responsabilités de la compagnie chinoise n'a pas abouti. Celle-ci s'est contentée de payer 48 millions de kwachas (9 500 euros) par victime, un montant jugé ridicule par les familles qui tentent de rouvrir le procès. "Il nous faudrait un peu d'argent et de bons avocats", soupire Emmanuel Kasongo, président du comité des familles.

Faute de se poursuivre en justice, l'affaire dégénère dans la rue. A la suite de l'accident, des marches de protestation et des grèves ont été organisées. A plusieurs reprises, les habitants de Chambishi ont bloqué la route provinciale, celle qu'empruntent chaque jour des centaines de camions qui transportent le minerai de la Copperbelt au port de Durban, en Afrique du Sud. A une occasion au moins, la police zambienne a tiré dans la foule et a fait d'autres victimes.

De fait, face à la montée de l'hostilité contre les Chinois, les autorités zambiennes prennent sans hésiter le parti des investisseurs asiatiques. Venu comme chaque mois inspecter avec satisfaction les projets chinois dans la Copperbelt, Felix Mutati, ministre de commerce et de l'industrie, nous a déclaré ceci, sans descendre de sa jeep de luxe : "Cette histoire d'explosion reste confuse pour nous tous. Mais ce qu'il faut, c'est changer de mentalité, commencer à travailler 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, faire des sacrifices pour construire le pays. Les gens ici sont capables de passer dix ans au chômage et, quand un investisseur chinois vient leur proposer du travail, la première chose qu'ils font, c'est la grève !"

Les propos du ministre méritent une petite explication. Les mines de cuivre en Zambie ont été développées au temps de la colonisation britannique, sur un modèle de capitalisme paternaliste qui rappelle celui de Michelin à Clermont-Ferrand : les mineurs étaient correctement payés et étaient représentés par des syndicats compétents qui négociaient chaque année des avantages supplémentaires. L'entreprise s'occupait de tout : hôpitaux, écoles, équipes de sport, espaces verts. Au fil des ans, l'augmentation du nombre de fournisseurs et de sous-traitants des mines a fini par industrialiser certaines villes du pays. Des compétences locales impeccables ont été développées, si bien qu'en théorie, le système pouvait continuer de fonctionner à la nationalisation des mines, après l'indépendance. Ce qu'il a d'ailleurs fait jusqu'à ce que l'effondrement des prix du cuivre, après d'importantes découvertes en Amérique du sud et la mauvaise gestion publique, mette les mines zambiennes en situation de faillite. Obéissant à la lettre aux injonctions du FMI et de la Banque mondiale, le gouvernement de Lusaka a privatisé d'urgence et pour une bouchée de pain la plupart de ces exploitations à la fin des années 1980. Ce fut une catastrophe : certains investisseurs se sont contentés de mettre tout le monde au chômage et de démonter les installations pour les revendre aux ferrailleurs.

Négociations difficiles

Tel était le paysage lorsque les Chinois sont arrivés en 1998 à Chambishi, où la mine était fermée depuis plusieurs années. Incontestablement, ils avaient de grands projets et les moyens de les réaliser. Ils sont apparus comme des sauveurs mais ont tout de suite posé leurs conditions : de nombreux visas pour leurs travailleurs et contremaîtres chinois, des salaires très modestes pour les autochtones, pas de syndicats, des impôts au plancher, des comptes à ne rendre qu'à la maison-mère à Pékin et à la rigueur au président zambien.

Après plusieurs années et pas mal d'incidents, le management chinois de la mine a été forcé de s'asseoir en face de l'une ou l'autre des trois centrales syndicales zambiennes. "Je n'ai jamais vécu de négociations si difficiles, témoigne Agnès Bwalya, syndicaliste et membre du conseil communal de Chambishi. Les Chinois changent tout le temps de délégation, pour traîner en longueur. Ils n'envoient que des gens qui n'ont aucun pouvoir de décision. Ils multiplient les sociétés pour réduire à zéro le résultat obtenu lors des discussions précédentes. Au fond, ils ne lâchent rien et, si le système devient trop contraignant, ils licencient et ont recours au travail temporaire." Les négociations étaient justement dans les limbes au moment de l'explosion de violence en mars 2008 sur le chantier de la fonderie CCS. Et c'est aussi le chantier de CCS que devait visiter le président chinois Hu Jintao lors de sa tournée africaine de janvier 2007. Il a dû renoncer au déplacement dans la Copperbelt en raison de possibles troubles sur place : c'est le pire camouflet reçu à ce jour sur le continent africain par un dirigeant chinois.

Comme les autres syndicats, Agnès Bwalya a tenté de négocier des hausses de salaire ou des jours de congé, mais elle a aussi tenté de convaincre NFC Africa Mining de faire quelques gestes pour le township de Chambishi. Les Chinois, au nombre d'un millier environ, vivent dans un camp retranché et confortable à l'entrée du village. Le reste est constitué de baraques de brique et de tôle : les seuls bâtiments en dur sont les églises évangélistes. "Nous leur avons demandé un abri pour que leurs 2 000 employés zambiens ne souffrent pas de la pluie quand ils attendent le bus qui les conduit à la mine, dit-elle. Cela a pris quatre ans de négociations !" En dix ans, le management chinois a également accepté d'offrir un seul petit terrain de jeu pour enfants et a goudronné une route sur 1 kilomètre.

"Ce sont des efforts énormes", estime sans rire le préfet de Chambishi, Maxwell Kabanda, avant de se lancer dans un long plaidoyer en faveur des patrons chinois. "Et vous savez, ajoute-t-il, il n'est pas très poli de demander à des gens qui viennent vous aider de vous aider encore plus."

La flambée des prix du cuivre (jusqu'à 5 500 euros la tonne, soit une augmentation de 400 % en quatre ans, avant la chute récente due à la crise financière) rend pourtant les opérateurs généreux. A Luanshya, 30 km au sud de Chambishi, la société britannique ENYA Holdings qui a racheté la mine il y a quatre ans a construit pour les habitants une piscine olympique, des terrains de sport, fait fonctionner gratuitement l'hôpital de la ville ainsi que les écoles, fournit des livres, des ordinateurs, rénove des églises, offre des bourses aux étudiants talentueux, etc.

L'une des difficultés des Chinois en Zambie est qu'ils opèrent dans un pays plus démocratique que le leur. A Lusaka, la presse est relativement libre et l'opposition a failli remporter l'élection présidentielle en 2006 avec pour programme : "China, go home !" A l'été 2008, une commission de parlementaires dirigée par un membre éminent de l'opposition, Given Lubinda, a voulu tout savoir sur le projet-phare des Chinois dans le pays : une immense zone économique libre à Chambishi, censée attirer 150 entreprises chinoises et créer 6 000 emplois locaux. Des dizaines de paysans zambiens ont déjà été expulsés de leur terre pour ce projet – sans compensation. Les parlementaires ont été reçus avec tous les honneurs et beaucoup d'alcool fort par les deux patrons de NFC, Luo Xingeng et Gao Chang, lesquels ont refusé de parler au Monde 2. "Nous n'avons pas réussi à éliminer le soupçon que cette zone ne va rien développer du tout, juste protéger les bénéfices des filiales déjà installées de la NFC", devait avouer, par la suite, un Given Lubinda dépité. Et cela au moment où la Zambie réforme sa loi fiscale afin d'augmenter les taxes sur la production de cuivre par les compagnies étrangères.

Dans les mains du président

"La Zambie est en train de devenir une province – non, un district ! – de la Chine, s'emporte dans son bureau de Lusaka le leader de l'opposition Michael Sata. Et aucun ministre ne peut faire quoi que ce soit contre l'immoralité des Chinois, tout est dans les mains du président." Quelques semaines après cet entretien, le 19 août 2008, le président zambien, Levy Mwanawasa, 59 ans, est décédé dans un hôpital parisien des suites d'une attaque cérébrale. Les élections pour lui trouver un remplaçant auront lieu le 30 octobre, que l'opposition a des chances de remporter – Michael Sata est candidat – et qui seront suivies de près à Pékin. Pour ce qui est du tribunal de Chambishi, la Chine est rassurée : l'ingénieur Ma Jong a été relâché par manque de preuves, et Richard Sinkala définitivement licencié par la mine. Joint récemment au téléphone, il ajoute qu'il a été expulsé de chez lui avec femme et enfants faute de pouvoir payer le loyer et n'a aucune chance de retrouver du travail : "Toutes les sociétés ici sont chinoises", explique-t-il.


Serge Michel

VIDÉO - Conférence de Jean-Luc Domenach à l'ACFCI

J.L. DOMENACH la chine m'inquiète


J.L. DOMENACH la chine premier partenaire de l'Afrique


J.L. DOMENACH la chine un eldorado pour les entreprises


Conférence à l'Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d'Industrie

Hu Jia, l'infatigable militant chinois, couronné par l'Europe - Tristan de Bourbon

Le Temps, no. 3306 - International, vendredi, 24 octobre 2008
Le dissident chinois Hu Jia a reçu jeudi le Prix Andreï Sakharov, décerné par le Parlement européen. Il est actuellement en prison pour trois ans et demi. Portrait.

Il a une allure frêle et des petites lunettes de parfait élève. Hu Jia, 35 ans, est pourtant devenu l'un des porte-drapeaux de la liberté en Chine, sous le pseudonyme de Freeborn. Infatigable militant, il est l'un des hommes les plus haïs par le régime. Hu Jintao, le secrétaire du Parti communiste, l'a traité de «criminel» il y a quelques semaines. Jeudi, il a reçu le Prix Sakharov du Parlement européen, récompensant chaque année un défenseur de la liberté de penser.

Le jeune homme doit sans doute à sa famille d'être devenu le dissident le plus célèbre de son pays. Son oncle paternel est le premier à avoir eu maille à partir avec le Parti communiste. Accusé en 1955 d'être un «contre-révolutionnaire», il est condamné à 25 ans de travaux forcés. Deux ans plus tard, ses parents sont victimes de la campagne «anti-droitiers» lancée par Mao Zedong contre les intellectuels.

Ecologiste au départ

Agé de 15 ans en mai 1989, il assiste aux manifestations étudiantes et ouvrières sur la place Tiananmen, réprimées par les armes dans la nuit du 3 au 4 juin. Ces violences confirment son penchant pour le bouddhisme et la non-violence. S'il se lance dans des études de nouvelles technologies à l'école d'économie de Pékin, il est également bénévole pour la Croix-Rouge et a créé plusieurs ONG dans la défense de l'environnement, contre la désertification et pour la préservation d'espèces animales en danger. Hu Jia rencontre sa future femme Zeng Jinyan, de 11 ans sa cadette, au cours de ces pérégrinations.

Le militant est arrêté pour la première fois en 2002 dans la province du Henan pour avoir secouru des populations atteintes du Sida suite à un trafic impliquant des cadres du parti. Déterminé, il poursuit sa quête pour les libertés dans son pays. «Il existe aujourd'hui une possibilité d'apporter la démocratie à la Chine, pour la première fois en 5000 ans d'histoire, assure-t-il en 2007 à l'Agence France Presse. C'est pourquoi je me sens privilégié de vivre à cette époque, cela explique ce que je fais.»

Hu Jia organise des campagnes en faveur de la libération de prisonniers politiques et profite de l'apparition d'Internet et du téléphone portable pour se faire le porte-parole de nombreuses causes auprès des journalistes étrangers établis à Pékin. Cela lui vaut d'être assigné à domicile à partir d'avril 2004, dans un appartement situé dans une résidence de l'est pékinois et sinistrement appelée «Bobo Cité Liberté».

Il fait des allers-retours en prison, mais parvient à converser avec l'extérieur à travers son blog. En 2006, il est incarcéré pendant 41 jours. Sa santé se détériore, il développe une hépatite B, qui favorisera plus tard une cirrhose du foie. Qu'importe, le dissident multiplie les déclarations regrettant que les promesses officielles faites avant les Jeux olympiques ne soient pas tenues. Il est à nouveau incarcéré le 27 décembre 2007, accusé un mois plus tard «d'incitation à la subversion du pouvoir de l'Etat». Le 3 avril 2008, il est condamné à trois ans et demi de prison. «Il ne laissera pas tomber les droits de l'homme», affirme sa femme sur son blog. Malgré les mauvais traitements dont il est l'objet en prison.

Encadré(s) :

La Chine exprime son «mécontentement»

Le Temps

Le Prix Sakharov 2008 est «décerné à Hu Jia au nom des sans-voix de la Chine et du Tibet», a annoncé jeudi le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, en séance plénière à Strasbourg. Cette récompense «rend hommage au combat quotidien pour la liberté de tous les défenseurs des droits de l'homme en Chine», a estimé le parlementaire. Deux mois après la fin des Jeux olympiques, ce choix est éminemment politique. Le dissident chinois avait également été nominé pour le Prix Nobel de la paix. Pékin a fait part jeudi de son «fort mécontentement», regrettant une «grossière ingérence dans les affaires intérieures chinoises». Les autorités ont cependant assuré que cela n'affecterait pas le sommet Asie-Europe qui débute ce vendredi. Berlin et Washington ont demandé la libération du militant. La récompense sera remise à Strasbourg le 17 décembre lors de la session du Parlement, qui sera aussi l'occasion de célébrer les 20 ans du Prix Sakharov. Avant Hu Jia, Nelson Mandela, Aung San Suu Kyi ou encore Kofi Annan ont reçu cette récompense, dotée d'une somme de 50000 euros.

© 2008 Le Temps SA. Tous droits réservés.

Le Monde - International, samedi, 25 octobre 2008, p. 6
INTERNATIONAL - DIPLOMATIE Le septième sommet entre l'Asie et l'Europe s'ouvre en Chine sur fond de crise financière
L'attribution du prix Sakharov à Hu Jia irrite Pékin


Bruno Philip

PÉKIN CORRESPONDANT - A la veille du septième sommet de l'ASEM (Asia-Europe meeting), qui se tient à Pékin les vendredi 24 et samedi 25 octobre, le Parlement européen a décerné son prix Sakharov pour les droits de l'homme au plus célèbre dissident chinois emprisonné, Hu Jia.

Ces derniers jours, alors que des rumeurs insistantes circulaient à propos de l'attribution de ce prix prestigieux au jeune homme de 35 ans - qui comptait parmi les possibles récipiendaires du prix Nobel de la paix -, la diplomatie chinoise faisait le forcing pour dissuader les parlementaires européens de prendre une telle décision.

Dans une lettre adressée au président du Parlement de Strasbourg, Hans-Gert Poettering, l'ambassadeur chinois auprès de l'Union européenne, Song Zhe, avait ainsi prévenu que si ce prix devait être attribué à Hu Jia, « cela blesserait les sentiments du peuple chinois et aurait de sérieuses conséquences pour les relations Chine-Union européenne ».

Ignorant les pressions de la diplomatie pékinoise, les parlementaires européens ont voté en faveur de ce militant des droits de l'homme qui a été arrêté fin 2007 avant d'être condamné à trois ans et demi de prison pour « subversion ». M. Poettering lui-même a tenu à souligner, jeudi, sous les applaudissements de ses collègues, qu' « en d écernant le prix Sakharov à Hu Jia, le Parlement européen envoie un signal clair de soutien à tous ceux qui défendent les droits de l'homme en Chine ».

Pékin a réagi avec aigreur à la nouvelle, comme l'on pouvait s'y attendre au vu des efforts de lobbying - par e-mail, par courrier et par téléphone - déployés ces derniers jours par ses représentants en Europe.

« UNE GRAVE INTERFÉRENCE »

Le porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois, Liu Jianchao, a déclaré que la récompense donnée « à un criminel emprisonné en Chine » représentait une « grave interférence dans les affaires chinoises ». Il a cependant pris la précaution d'ajouter, en réponse aux questions des journalistes lors d'une réunion consacrée à la tenue de l'ASEM à Pékin, que le prix donné à Hu Jia « ne devrait pas avoir de conséquences sur le sommet ».

Il est vrai que ce 7e sommet réunissant 45 pays asiatiques et européens, qui s'est tenu la première fois en 1996, a vu son agenda initial bouleversé pour cause de crise financière mondiale. Créé à l'origine pour favoriser une meilleure coopération entre les pays des deux continents, ce sommet ne pouvait pas, cette année, limiter son agenda au développement durable et au changement climatique...

Le ministre chinois des affaires étrangères, Yang Jiechi, a prévenu que « la crise financière globale [serait] la première des priorités durant l'ASEM ». « Il est très important que nous dégagions un consensus pour surmonter les difficultés », a-t-il espéré.

Le vice-président chinois Xi Jinping, dauphin pressenti de Hu Jintao, actuel chef de l'Etat et patron du Parti communiste chinois (PCC), avait de son côté souligné, mercredi 22 octobre, devant 800 hommes d'affaires asiatiques et européens réunis à Pékin en préparation de l'ASEM, qu'il était crucial de « trouver les moyens d'instaurer un dialogue et une coopération plus solides (...) et de promouvoir les réformes des institutions financières internationales afin de diminuer les risques financiers » . « Il est crucial, avait ajouté le vice-président, d'établir un mécanisme d'alerte financière et de trouver un équilibre entre les produits financiers innovants et l'établissement d'une supervision des institutions financières. »

Toutes ces questions, Nicolas Sarkozy ne manquera pas de les aborder devant ses interlocuteurs chinois en tant que président du Conseil européen, lui qui s'est interrogé récemment sur les façons dont les grands pays émergents d'Asie, l'Inde et la Chine, voient l'établissement d'une monnaie internationale, la réforme du Fonds monétaire internationale (FMI), l'utilisation des paradis fiscaux et la constitution des fonds souverains.

A Pékin, des analystes économiques remarquent que la Chine, dont le système financier reste pour l'instant encore assez encadré et relativement peu internationalisé, devrait se sentir plus en phase avec les positions européennes en faveur d'une stricte réglementation des marchés financiers.

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DERNIÈRE IMAGE DE CHINE

One of twin Giant Panda cubs - the first to be delivered this year at a panda protection centre in China - is placed in an incubator.

jeudi 23 octobre 2008

L'empire du Milieu se recentre sur son marché intérieur - Pascalle Nivelle


Libération, no. 8543 - France, jeudi, 23 octobre 2008, p. 17
L'empire du Milieu se recentre sur son marché intérieur
Crise. Très dépendante des exportations vers l'Occident, l'économie chinoise ralentit.

Malgré ses importantes réserves, la Chine subit la déflagration de la crise financière mondiale. La croissance a ralenti au troisième trimestre, passant à 9 % sur un an, sous le seuil symbolique des 10 % réalisés depuis 2005. Ce n'est pas encore l'affolement, mais le gouvernement, qui manifestait un calme impérial face au déluge planétaire, est désormais en alerte.

Après la publication de ces «mauvais» chiffres, lundi, dus à la crise, selon les autorités, et à l'effondrement de certains secteurs étroitement liés aux exportations (lire ci-contre), la Chine a annoncé qu'elle recentrait ses priorités sur le marché intérieur [selon les pronostics d'Alexandre Adler]. Les consommateurs chinois sont de grands épargnants. Ils sont appelés à ouvrir leurs bourses pour acheter chinois et pallier le ralentissement de la demande occidentale : «Le potentiel de la demande est grand, il y a de la marge», estime Li Xiaochao, porte-parole du Bureau national des statistiques. Alors que le pays est dépendant à 37 % - trop selon les experts - des exportations, la consommation intérieure n'a représenté que 40 % de l'accroissement du PIB en 2007, année faste de la croissance, à 11,7 %.

Cela demande des réformes en profondeur : il faut améliorer la protection sociale et garantir des systèmes de retraites et de santé efficaces, de façon à libérer l'épargne de précaution. Il faut aussi combler les énormes disparités entre les Chinois des villes et ceux des champs, qui représentent encore la moitié de la population, et dont les revenus plafonnent à 3 000 yuans (300 euros) annuels, le salaire mensuel moyen des citadins. Une réforme rurale, immense chantier qui prendra plus de dix ans, a été annoncée. Certains experts prônent aussi une politique fiscale plus agressive, et une réforme de la politique monétaire. Le gouvernement a déjà avancé en ce sens en baissant les taux d'intérêt. Il reste à éradiquer la corruption des cadres locaux. Lundi, le président Hu Jintao a reconnu la faiblesse du gouvernement central en la matière.

Malgré l'inquiétude des dirigeants, la Chine est plutôt épargnée par la tourmente internationale. Le pays dispose de fortes réserves fiscales, son endettement est faible (16 % du PIB) et son système bancaire archaïque la met à l'abri des turbulences : «Les banques chinoises vivent dans un monde fermé, elles sont moins impliquées dans les mécanismes internationaux complexes, note Jean-François Huchet, directeur du CEFC, Centre d'études français sur la Chine contemporaine, basé à Hongkong. Elles ont le temps de voir venir, un ou deux ans peut-être, et de relancer la machine.»

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La Chine va droit dans le mur - Brian Klein

Courrier international, no. 938 - Economie, jeudi, 23 octobre 2008, p. 57
CROISSANCE - La Chine va droit dans le mur - Brian Klein*
Far Eastern Economic Review (Hong Kong)

La Bourse et l'immobilier ont drainé une grande partie de l'argent des Chinois. Avec les déconvenues que l'on sait.

Tout le monde ou presque croyait la Chine à l'abri de l'onde de choc qui, depuis les Etats-Unis, s'est propagée à travers le monde. Bien qu'elle soit relativement épargnée par la crise des prêts immobiliers à risques et par la restriction du crédit, l'économie chinoise est en réalité confrontée bien plus tôt que prévu à un ajustement structurel fondamental.

Le fléchissement de la demande étrangère de biens manufacturés bon marché, la mauvaise répartition des investissements et la mise en cause de la sécurité des produits chinois [avec notamment le scandale du lait contaminé par la mélamine] fragilisent la base industrielle du pays et remettent en cause les liens ténus entre une croissance économique continue et une classe moyenne grandissante.

Il est communément admis que la demande intérieure s'est substituée aux exportations comme principal moteur de la croissance, ce qui permet d'amortir les effets sur l'économie chinoise des renversements de tendance de l'économie mondiale. La nouvelle classe moyenne est censée continuer à acheter des téléviseurs, des ordinateurs, des machines à laver et des voitures - tous produits localement grâce à l'argent puisé dans l'épargne considérable des ménages. Les banques chinoises sont en bonne santé et le gouvernement central entretient désormais la croissance par des politiques budgétaire et monétaire expansionnistes.

A première vue, les statistiques paraissent prometteuses. Les dépenses de consommation progressent de 22 %, les pressions inflationnistes s'atténuent grâce à la baisse des prix alimentaires et les réserves de change sont de plus en plus importantes (elles s'élevaient à 1 800 milliards de dollars fin juillet). Les investissements en actifs immobilisés [bâtiments, machines, participations financières...] ont augmenté de 27 % sur les huit premiers mois de 2008, et la note de la dette souveraine s'améliore (l'agence d'évaluation financière Standard & Poor's a relevé sa note à long terme à A +).

Mais, si l'on regarde d'un peu plus près, le tableau est bien différent. Fin 2007, près de la moitié de la croissance du PIB était en réalité imputable aux exportations et aux dépenses publiques, ce qui constitue un virage spectaculaire par rapport à 2003, époque où elle était tirée par l'investissement des entreprises et la consommation des ménages. En Chine, le taux d'épargne est traditionnellement élevé, et d'immenses sommes d'argent ont été placées sur le marché des actions et dans l'immobilier. Or l'indice de la Bourse de Shanghai a perdu les deux tiers de sa valeur depuis les sommets atteints à la mi-octobre 2007, et celui de la Bourse de Hong Kong a cédé plus de 50 %.

Quant aux investissements en actifs immobilisés, ils sont de plus en plus orientés vers l'immobilier (+ 29 % depuis un an), alors que les surfaces commerciales inoccupées étaient en hausse de 6,1 % à la fin juillet (dernier mois pour lequel on dispose de statistiques). Les prix de l'immobilier n'ont jamais aussi peu progressé depuis dix-huit mois et ceux des logements neufs à Canton et à Shenzhen ont carrément baissé. Enfin, l'augmentation des ventes de voitures neuves ralentit.

Il n'est donc guère étonnant que la confiance des ménages vacille et que les agences d'évaluation occidentales baissent la note des banques de dépôt chinoises détentrices de locaux commerciaux vacants [ce qui signifie qu'elles devront payer plus cher pour emprunter]. Plusieurs dizaines de milliers de PME ont fait faillite, et les personnes qui se trouvent juste aux portes de la classe moyenne voient leur situation se dégrader. Rien que dans la province du Guangdong, le principal centre industriel à bas coûts de la Chine, la moitié des fabricants de chaussures, soit plus de 2 200 usines, ont mis la clé sous la porte cette année. Ce secteur propose exactement le type d'emplois peu qualifiés et peu rémunérés que Pékin veut remplacer par d'autres, à forte valeur ajoutée, dans l'industrie manufacturière. Mais les bases d'une telle économie sont loin d'être jetées. Le principal bénéficiaire des investissements reste le secteur manufacturier spécialisé dans le bas de gamme.

Il y a peu, dans la capitale, qui fourmillait alors de grues et d'ouvriers du bâtiment, on espérait qu'après les Jeux olympiques les entreprises étrangères se bousculeraient pour ouvrir des bureaux. C'était évidemment avant que les grandes économies de la planète ne soient menacées par la récession.

Les ouvriers licenciés et les millions d'ouvriers du bâtiment migrants qui se retrouveront probablement au chômage retourneront dans des zones rurales qui n'ont guère changé depuis qu'ils en sont partis, voici plusieurs années. Il ne serait alors guère étonnant que, dans les petites villes, les manifestations contre les autorités locales ne dégénèrent en "incidents de masse". Sur les sept premiers mois de l'année, les programmes éducatifs, sanitaires et sociaux n'ont attiré qu'une part dérisoire des investissements, avec seulement 2,3 % du total. Si les politiques monétaire et budgétaire expansionnistes en cours ne visent pas à améliorer les compétences de la main-d'oeuvre, à renforcer la protection de la propriété intellectuelle et à stimuler la recherche-développement, la Chine risque d'aller droit dans le mur. Les attentes grandissantes de la classe moyenne, la destruction d'emplois industriels et le manque de travailleurs qualifiés constituent une plus forte menace pour la croissance économique que l'exposition de la Banque populaire de Chine aux bons du Trésor américain [elle en a acheté énormément].

C'est sur le développement économique que reposent la stabilité sociale et la légitimité du Parti depuis des décennies. Dans un discours prononcé récemment aux Nations unies, le Premier ministre Wen Jiabao a réaffirmé l'attachement de son pays aux réformes et à l'ouverture. Pékin devra donc faire des choix douloureux si la Chine veut sortir de sa spécialisation dans la production bas de gamme. Alors que l'économie mondiale tout entière s'enfonce dans le marasme, le pays voit s'effacer le souvenir des succès olympiques et se profiler une horde de chômeurs qui ont très peu de raisons d'applaudir.

* Membre du Council on Foreign Relations, un influent think tank américain qui conseille le département d'Etat.

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