jeudi 28 mai 2009

La Chine tient à la survie du régime nord-coréen - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20434 - International, vendredi, 29 mai 2009, p. 7

Les grandes capitales poussent Pékin à faire pression sur le régime de Kim Jong-il. La Chine est le principal allié et soutien économique de ce dernier. Mais elle s'opposera pourtant à toute déstabilisation du pays.

Une fois de plus, la communauté internationale, outrée par le nouvel essai nucléaire de Pyongyang, s'est tournée vers Pékin pour apaiser la crise dans la péninsule coréenne. Hier, les diplomates négociant, aux Nations unies, un nouveau projet de résolution affirmaient être capables d'associer, peut-être dès la semaine prochaine, les négociateurs chinois à l'idée d'un durcissement des sanctions à l'encontre du régime de Kim Jong-il. Habituellement pessimistes sur leur capacité à mobiliser Pékin, les diplomates estiment avoir perçu un plus grand agacement des autorités chinoises. Celles-ci ont condamné, plus rapidement qu'à leur habitude, l'essai nord-coréen et auraient usé de termes jugés plus « fermes » traduisant l'embarras grandissant du pouvoir chinois.

Cherchant depuis quelques années à se présenter en « acteur responsable » de la communauté internationale, la Chine redoute de se retrouver à son tour critiquée si elle continue à protéger son turbulent voisin. Liée au régime stalinien depuis la guerre de Corée (1950-1953), la Chine s'est imposée comme son principal partenaire économique. L'an dernier, elle a assuré 70 % de son commerce extérieur en lui vendant pour 2 milliards de dollars de produits - essentiellement des carburants, de l'électricité, des machines-outils et de la nourriture - et lui a acheté pour 750 millions de dollars de marchandises.

Retrait des troupes américaines

Si ces volumes apparaissent négligeables à l'échelle de ses performances mondiales, Pékin s'opposera à des sanctions trop sévères, car il estime que ces échanges assurent au régime de Pyongyang un minimum de stabilité politique. « Ces politiques économiques à l'égard de la Corée du Nord ont été dessinées pour prévenir toute instabilité », résume David C. Kang, un expert de l'université de Californie du Sud, dans une analyse du Council on Foreign Relations. Il rappelle que la survie d'un régime communiste à Pyongyang reste la plus grande des priorités de Pékin. « La Chine s'inquiète de l'éventualité d'un effondrement de la Corée du Nord qui inonderait sa région nord-ouest de réfugiés, mais elle craint aussi l'émergence d'une Corée unifiée, prospère et proaméricaine », notait, cette semaine, Dan Rosenthal, un analyste de l'American Enterprise Institute. Ne pouvant accepter la chute du régime communiste, Pékin suggère d'apaiser autrement la péninsule coréenne. Un retrait pur et simple des troupes américaines de Corée du Sud constituerait à ses yeux la solution idéale.

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En Chine, la relance à tout-va du crédit bancaire commence à inquiéter - Brice Pedroletti

Le Monde - Economie, vendredi, 29 mai 2009, p. 15

Les banques chinoises ont davantage prêté lors des quatre premiers mois de 2009 que pour... l'ensemble de l'année 2008. Une expansion du crédit qui soulève quelques interrogations autour des risques financiers liés au méga-plan de relance annoncé à l'automne 2008. Si les encours de crédit ont nettement ralenti au mois d'avril, ils atteignaient 4 600 milliards de yuans (487 milliards d'euros) rien que pour le premier trimestre 2009.

Cette très forte expansion, qui commence à préoccuper les autorités, est d'abord liée à la rapidité de mise en oeuvre du plan de relance : " C'est parti très vite. On sort de deux ans de politiques très restrictives, donc il y avait plein de projets en attente dans les provinces. De leur côté, les banques étaient auparavant soumises à des quotas. Comme ceux-ci ont été levés, elles se sont donc ruées sur ce qui était disponible et se sont retrouvées en concurrence sur les projets les meilleurs ", explique Pierre Mongrué, conseiller financier près la Mission économique à Pékin.

Selon David Dollar, directeur de la Banque mondiale à Pékin, moins de 10 % des investissements annoncés dans le cadre du plan de relance se sont orientés vers l'augmentation des capacités productives. Le reste concerne essentiellement des infrastructures : " Le réseau de chemin de fer à grande vitesse, les métros, la reconstruction du Sichuan, les usines de traitement des eaux, tout cela, ça n'augmente pas les surcapacités, c'est plutôt favorable, in fine, à la consommation ", souligne M. Dollar.

" Il faut bien avoir conscience qu'il y a eu un choc global extraordinaire, poursuit l'économiste américain. Dans ce contexte, on peut dire que le gouvernement chinois a bien réagi. Mais j'encouragerais à la prudence au niveau local, où on peut se retrouver avec des mauvais investissements. Ils ne peuvent pas continuer de prêter à ce rythme. "

Le différentiel entre les incitations nationales et la réalité locale n'est pas anecdotique. En réalité, moins de la moitié des 4 000 milliards de yuans d'investissements prévus sur deux ans sont financés par le gouvernement central. Celui-ci a déboursé sa part sur les projets qui le concernent, c'est-à-dire ceux qui ont une vocation nationale. Le reste doit être apporté par les provinces et les collectivités locales, qui n'en ont pas toujours les moyens.

Or on constate que plus de la moitié de l'encours de crédit du premier trimestre est allé à des prêts à court terme, dont près des deux tiers sous forme de billets de trésorerie émis par les entreprises, selon les statistiques de la Banque centrale chinoise.

" Les municipalités montent des sociétés ad hoc pour créer un projet, explique M. Mongrué. Celles-ci sont soumises à des critères assez stricts d'endettement. Mais comme l'argent manque, on utilise les billets de trésorerie comme fonds propres, ce qui permet d'obtenir des prêts à plus long terme qui vont rembourser les billets de trésorerie par exemple. Ça peut s'avérer problématique sur certains projets d'infrastructures qui ne sont pas toujours rentables. "

Pire, une partie de cet argent prêté à court terme a pu partir dans la spéculation, dans la Bourse ou l'immobilier, ou pour renflouer les trésoreries d'entreprises en difficulté.

" Dans tous les cas, on ne peut pas dire qu'il s'agit pour les banques de paris sûrs ", estime Patrick Chovanec, professeur à l'école de commerce de l'université Tsinghua à Pékin, dans une analyse de l'Asian Wall Street Journal consacrée aux nouveaux risques que fait courir au système bancaire chinois cette fuite en avant dans le crédit facile. Selon l'économiste, les autorités de régulation chinoises, qui se montrent pour l'instant relativement peu inquiètes, ont en outre fermé les yeux sur les mauvaises créances générées par le ralentissement de l'activité économique et des exportations.

Ce tournant intervient après que la Chine a pourtant réussi, au début des années 2000, à renflouer ses banques autrefois malades d'avoir tant prêté sur ordre du gouvernement : recapitalisées en partie grâce aux investissements étrangers et introduites dans les circuits financiers mondiaux (notamment en étant cotés à Hongkong), elles sont censées, ne serait-ce que dans l'intérêt d'une partie de leurs actionnaires, obéir davantage à une logique de marché.

La Chine nécessite " des banques qui allouent les capitaux de manière efficiente, dans le cadre d'un régime de régulation crédible. Avec un endettement public extrêmement faible, le gouvernement aurait pu emprunter les fonds nécessaires à la relance, pour les dépenser directement selon les besoins. A la place, il a lâché la bride aux banques. C'est un recul spectaculaire, et la Chine risque d'en payer le prix pour longtemps ", conclut l'économiste.

Brice Pedroletti

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LIRE AUSSI - La générosité des banques chinoises augure une poussée des créances douteuses - Yann Rousseau

A Pékin, Timothy Geithner veut éviter l'affrontement - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20434 - International, vendredi, 29 mai 2009, p. 7

Le secrétaire américain au Trésor entame dimanche sa première tournée officielle en Chine. Il devrait rassurer Pékin sur la valeur de ses placements en dollars.

Les autorités chinoises ont expliqué ne plus pouvoir renforcer trop vite la valeur du yuan de peur de précipiter la chute de leurs exportations.

Timothy Geithner n'arrive pas à Pékin en débutant des affaires chinoises. Le secrétaire américain au Trésor, qui entame ce dimanche sa première visite officielle en Chine, a séjourné longuement dans le pays où il a même fait un peu d'études et peaufiné les cours de mandarin entamé à l'université de Dartmouth au début des années 1980. Diplômé en études asiatiques, c'est un habitué des moeurs politiques et diplomatiques du pays.

Avant même son arrivée, il a confié à l'agence de presse d'Etat chinoise, Xinhua, qu'il ne venait pas affronter le gouvernement sur les dossiers bilatéraux épineux mais espérait plutôt travailler à un renforcement des coopérations pour relancer la croissance mondiale. Selon Xinhua, le secrétaire au Trésor aurait même « clairement » indiqué qu'il n'allait pas s'attarder sur le dossier de l'évaluation du yuan, qui avait obnubilé ses prédécesseurs. « Geithner ne veut pas de gros titres annonçant que la Chine et les Etats-Unis sont en désaccord sur tout », résume Brad Setser, du Council on Foreign Relations.

Marchandises « made in China »

Auditionné en janvier par le Sénat américain, Timothy Geithner avait laissé entendre que l'exécutif américain soupçonnait Pékin de manipuler le cours de sa monnaie. Depuis, ses équipes auraient expliqué que la réponse avait été rédigée par un adjoint et que Washington n'avait pas l'intention de durcir le ton sur ce dossier.

Pour être certaines de ne pas se retrouver une nouvelle fois sur le banc des accusés, les autorités chinoises ont expliqué qu'elles ne pouvaient plus se permettre de renforcer trop vite la valeur du yuan - il a gagné 21 % face au dollar depuis l'été 2005 - de peur de précipiter la chute de leurs exportations. En guise d'avertissement, les autorités monétaires ont ensuite mis en scène une très légère dépréciation du yuan par rapport au dollar. « Mais les messages de la Chine seront aussi probablement amicaux », pointe le professeur Xi Junyuang de l'Université de Shanghai.

Le président Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao, inquiets de la baisse du dollar, vont sûrement demander à être réassurés sur la valeur des 1.500 milliards de dollars de réserves de change que la Chine à placé aux Etats-Unis mais ils ne devraient pas trop bousculer Timothy Geithner. Il est l'un de leurs rares avocats à Washington, où les parlementaires, notamment démocrates, menacent de protéger leur marché contre les marchandises « made in china » jugées trop bon marché.

YANN ROUSSEAU

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CITATION - "La Chine va renforcer son dialogue avec les États-Unis..." - Wen Jiabao

La Croix, no. 38369 - Monde, jeudi, 28 mai 2009, p. 4

Wen Jiabao, Premier ministre chinois : « La Chine va renforcer son dialogue avec les États-Unis, et considérer la lutte contre le changement climatique comme un aspect important de cette coopération. »

Le premier ministre s'exprimait ainsi en recevant, hier, la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi.

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La Chine va massivement investir dans les transports urbains

La Croix, no. 38369 - Economie, jeudi, 28 mai 2009, p. 17

La Chine devrait doubler le nombre de villes dotées de transports ferroviaires urbains et métros à l'horizon 2015 et pratiquement quadrupler le nombre de kilomètres de rails urbains, a annoncé hier la presse chinoise. D'ici à 2015, 2 100 kilomètres de nouvelles lignes devraient être ajoutés au réseau existant de rails urbains et équiper 19 villes contre 10 aujourd'hui. Les nouveaux projets devraient demander un investissement d'au moins 800 milliards de yuans (soit 84 milliards d'euros). Ce plan est une partie des mesures du gouvernement pour relancer l'économie.

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L'édition chinoise fait sa révolution sur Internet - Fabrice Rozié

Le Monde - Monde des livres, vendredi, 29 mai 2009, p. LIV8

Un responsable de l'édition à Pékin vient d'annoncer que ses collègues étaient maintenant prêts à entrer dans le capital des maisons américaines et européennes, sans exclure les médias, allant jusqu'à avancer la somme de 10 milliards de yuans (plus de 1 milliard d'euros) disponibles en cash. Effets de manches ou cri de ralliement ?

La Chine poursuit en tout cas méthodiquement son ouverture à l'économie de marché et son intégration à la société du spectacle, à mi-parcours entre les Jeux olympiques de Pékin en 2008 et l'Exposition universelle à Shanghaï, en 2010. Dès octobre 2009, les écrivains chinois s'apprêtent à faire leur entrée en groupe sur la scène internationale, lors de la prochaine édition de la Foire de Francfort, dont la Chine sera l'invitée d'honneur.

L'annonce a été faite lors de rencontres professionnelles, Book China Forum, consacrées à l'expansion de l'industrie du livre en Chine et à son intégration au marché international. Ce séminaire, qui s'est tenu du 11 au 13 mai, a été organisé à l'initiative de Dana Ziyasheva, conseillère auprès de l'Unesco à Pékin, en partenariat avec le magazine China Publishing Today, et grâce au soutien des services du livre français et autrichien comme des British Council et Australian Council. Une trentaine d'intervenants, directeurs littéraires, chargés des droits, responsables du marketing, agents, traducteurs ou journalistes, ont pris part à ces débats - avec, du côté français, la présence des éditeurs Manuel Carcassonne (Grasset) et Patrice Hoffmann (Flammarion). Le premier mérite de ces rencontres aura été de lever un coin du voile qui recouvre un marché encore opaque, et dont les échanges à l'international restent modestes. A l'intérieur même de ses frontières, le marché chinois est déjà un géant de l'édition mondiale, qui regroupe 570 maisons d'édition contrôlées par l'Etat, 1 300 gérées par le secteur privé, 1 600 librairies. Chaque année, 250 000 titres paraissent en Chine, les " super-best-sellers " tirant en moyenne à 4 millions d'exemplaires. L'objectif de ce marché en expansion est d'atteindre un chiffre d'affaires de 33 milliards de dollars en 2011.

Ce marché méconnu et surdimensionné aiguise les appétits. C'est qu'en son sein le géant cache un véritable monstre : le marché des 15-25 ans, qui est train de modifier la donne en contribuant à faire émerger sur Internet de nouvelles pratiques éditoriales et peut-être un modèle économique insolite. Il existe en Chine 10 000 sites littéraires que consultent 400 millions d'internautes (dont 80 % écrivent sur le Net). Les chiffres de fréquentation avancés par Hou Xiaoqiang, directeur général de Shanda Literature Limited, qui gère 3 sites depuis 2008, donnent le vertige : 40 millions d'utilisateurs, 4 millions d'abonnés, 250 000 rédacteurs, 10 millions de clics par jour, un commentaire par seconde...

CHANTIER COLLECTIF

Les blogs d'écrivains les plus consultés au monde seraient ceux d'auteurs chinois, comme par exemple Guo Jingming, qui apparaît au 100e rang sur la liste des fortunes chinoises établie par le magazine américain Forbes, ou Han Han, mieux connu des internautes occidentaux.

L'élaboration d'un texte est assimilée à une sorte de chantier collectif, l'écrivain-rédacteur soumettant sa copie au fur et à mesure à ses lecteurs-critiques, dont les suggestions ou les exigences seront intégrées au feuilleton suivant. Les profits sont séquencés en deux temps : le lecteur est " aguiché " par des extraits en accès gratuit, puis " mis à contribution " pour des versions intégrales en accès payant (0,30 yuan le clic, débité directement sur le compte de l'utilisateur, les cartes de crédit n'étant pas répandues en Chine). Chez Shanda, les revenus sont partagés pour moitié avec les auteurs, certains d'entre eux étant même salariés (selon une échelle de salaires allant de 100 000 à 4 millions de yuans par an, le salaire annuel moyen s'élevant à 25 000 yuans).

Ce système, qui place le lecteur en contact direct avec l'auteur, répond à une aspiration légitime de la jeunesse chinoise à la libre expression, mais permet surtout à l'industrie du livre de tester la " marketabilité " des produits émergents, dans la plupart des cas des romances conventionnelles de qualité moyenne.

En bout de course, seuls les titres les plus téléchargés poursuivront une seconde carrière en version papier. Sites littéraires et maisons d'édition ferrent également le marché des jeunes grâce aux mooks, ces magazine books qui ont vu le jour au Japon et en Grande-Bretagne et rappellent les gazettes du XIXe siècle. Là encore, les récits sont élaborés de manière collégiale par des rédactions jeunes et réactives (24 ans de moyenne d'âge), qui captent l'air du temps à travers les milliers de Texto qui remontent de la rue, et qu'ils traduisent sous forme de romances-magazines, lesquelles ne deviendront jamais des livres.

Fabrice Rozié

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INTERNET - Deng Yujiao, meurtrière mais " ni pute ni soumise ", glorifiée par les blogueurs chinois

Le Monde - International, vendredi, 29 mai 2009, p. 6

En quelques semaines, elle est devenue une héroïne des internautes et des blogueurs, incarnant malgré elle la " résistance " à l'égard des fonctionnaires locaux, de leur réputation de cadres corrompus et de leur toute-puissance affichée : Deng Yujiao, 21 ans, était serveuse dans un salon de massage d'une petite ville du Hubei (centre de la Chine). Le 10 mai, elle a poignardé à mort un officiel local qui, semble-t-il éméché, essayait de la " convaincre " brutalement d'avoir avec lui des relations sexuelles. Elle a également blessé un de ses collègues.

Les versions de la presse, de la police et des avocats de la jeune fille sont contradictoires et il est malaisé de se faire une idée exacte de ce qui s'est passé. Selon le quotidien cantonnais Nanfang Dushi Bao, Mlle Deng raconte que le fonctionnaire, Deng Guida, l'a frappée avec des liasses de billets de banque, la traitant de prostituée et s'étonnant qu'elle ne veuille pas le suivre, vu qu'elle n'était " qu'une pute ". Après qu'il eut malmené ainsi la serveuse, la poussant vers un sofa, celle-ci aurait sorti des ciseaux et poignardé son agresseur, qui décédera plus tard de ses blessures à l'estomac.

Dans un communiqué, la police affirme qu'elle n'a pas été violée. Ses avocats craignent que les enquêteurs n'aient pas réuni assez de preuves pour justifier le geste de Deng Yujiao comme relevant de la légitime défense.

L'essentiel n'est peut-être pas là : depuis que les journaux ont parlé d'elle, souvent de manière positive, la petite serveuse de province cristallise le mécontentement, voire la colère et le mépris ressentis par beaucoup de Chinois à l'encontre des fonctionnaires provinciaux. Les sites web et autres forums de discussions abondent de commentaires de soutien tandis que les internautes s'efforcent de comparer les différentes versions du drame. Selon certains sondages, 69 % des personnes interrogées considèrent que la jeune femme était en état de légitime défense et 77 % estiment que, même si elle a tué, elle est innocente de ce crime.

" Deng Guida - l'agresseur - méritait la mort ", s'enflamme un internaute. " Une femme travaillant dans un institut de massage doit pouvoir se défendre pour préserver sa dignité ! Mais dans quelle société vivons-nous ? " s'émeut un autre. " C'est clairement un cas de légitime défense ! Et si c'est prouvé, cela servira de leçon aux fonctionnaires locaux qui se comportent mal... ", tranche un troisième. Des photos circulent sur la Toile : on y voit des " performances " jouées par des artistes où une femme baillonnée et enveloppée de linges telle une momie, est transportée par des hommes puis laissée par terre, en position recroquevillée, symbole de la victime de l'exploitation par les mâles au pouvoir.

Bruno Philip (Pékin, correspondant)

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L'art chinois réveille les transactions - Judith Benhamou-Huet

Les Echos, no. 20434 - Week-end, vendredi, 29 mai 2009, p. 35

La valeur des arts décoratifs chinois explose. Pour les Français, l'aubaine est d'autant plus grande que l'Hexagone est un des principaux gisements mondiaux pour ces objets anciens.

Petit vase d'époque Qianlong.

Depuis Louis XIV, la France s'intéresse à la Chine. Les experts français ne manquent pas d'anecdotes qui témoignent de découvertes inopinées d'objets chinois précieux. L'expert en ventes publiques Thierry Portier raconte avoir trouvé dans un hôtel particulier de Boulogne-Billancourt une potiche à décors bleu et blanc de pivoines du XIVe siècle. Elle sera vendue le 26 juin dans le cadre de Drouot Estimation avec une évaluation à 50.0000 euros. Elle n'est pas en excellent état. Thierry Portier avait déjà cédé un modèle comparable, en meilleur état de conservation, deux ans plus tôt pour 3,2 millions d'euros. Dans le même esprit, chez Sotheby's, Christian Bouvet raconte comment en visitant un château du Sud-Ouest de la France il a remarqué une flasque chinoise à décors de fleurs des quatre saisons en bleu et blanc qui servait modestement de pied de lampe. Seul un connaisseur pouvait reconnaître qu'elle datait de la période d'invention des porcelaines bicolores en Chine, c'est-à-dire les années 1403-1424, celles-là même qui sont aujourd'hui recherchées par la nouvelle clientèle de l'ancien Empire du Milieu. Estimation : 200.000 euros, pour cet objet de 43 cm de haut. Selon Christian Bouvet, toutes les autres flasques du même modèle - elles sont cinq connues au total - sont aujourd'hui dans des musées. Celle-là a cependant le désavantage d'avoir été raccourcie à son extrémité supérieure.

22 millions d'euros

Le record absolu pour un objet d'art asiatique est d'ailleurs un vase du XIVe siècle à décors bleu et blanc adjugé 22 millions d'euros en 2005. Il semblerait que son propriétaire soit un Occidental. Dans la liste des trésors chinois qui apparaissent sur le marché français, on peut encore citer le 29 avril dernier à Drouot un sceau impérial en jade du XVIIIe siècle, en usage dans le fameux Palais d'Eté sous le règne de Qianlong, qui a été vendu par Thierry Portier 1,6 million d'euros à un Chinois. C'est encore Thierry Portier qui, le 4 juin prochain, présentera à la salle des ventes Rossini, située en face de l'hôtel Drouot, une petite potiche en émail (13 cm de haut) d'époque Qianlong en provenance, elle aussi, du Palais d'Eté. Son décor floral très riche est frappé de la marque impériale si recherchée. C'est le même expert qui propose à Lille sous le marteau de Vregille et Bizouard, le 7 juin, une minuscule coupe (7,8 cm de haut) en porcelaine d'époque Chenghua du XVe siècle. Son rare décor aux couleurs fondues lui donne toute sa valeur. Malgré plusieurs fêlures, elle est estimée 80.000 euros.

Des acheteurs chinois

« Il y a beaucoup de nouveaux acheteurs chinois et il y a encore beaucoup de liquidités disponibles en Chine », estime à Hongkong chez Christie's Pola Antebi, spécialiste des arts décoratifs. « Acheter de l'art chinois ancien, surtout s'il est d'origine impériale, leur semble un investissement sûr. Depuis les années 2000, les Chinois commencent à s'intéresser aux enchères en dehors de la Chine continentale. » En 2008, 60 % des acheteurs de Christie's Hongkong étaient des Chinois continentaux et aujourd'hui pour cette maison de ventes, Hongkong est le troisième site en termes de volume d'affaires, derrière New York et Londres.

Cette montée en force de la consommation de la Chine populaire enrichie amène à regarder une partie de la production ancienne différemment. Pendant longtemps la luxuriante porcelaine du XVIIIesiècle, avec ses décors très chargés et très colorés, était relativement peu demandée. Les exploits techniques des faïenciers de l'époque de Qianlong laissaient indifférents les amateurs occidentaux. Depuis lors, les choses ont bien changé. « Avec le goût des nouvelles fortunes chinoises, depuis le début des années 2000 dans ce domaine, les prix ont augmenté de 200 % », observe Christian Bouvet qui propose par exemple chez Sotheby's à Paris le 11 juin un vase de 18 cm de haut en porcelaine à fond rouge de forme balustre entièrement décoré de fleurs de lotus et de feuilles d'acanthe. Sur sa base, la marque de l'empereur Qianlong. Il a été offert par le contre-amiral Dupuis (19.834-1911) à sa soeur et a été conservé depuis lors dans la famille. Estimation : 25.000 euros. En 2000, il aurait été estimé pour 8.000 euros environ.

Art d'Asie le 11 juin chez Sotheby's. www.sothebys.com. Vente d'art d'Extrême-Orient. Salle Rossini. Art Valorem : www.art-valorem.fr. Prochaines ventes d'art asiatique organisées par Thierry Portier sur www.portier-asianart.com. Art d'Asie le 10 juin chez Christie's. www.christies.com.

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Les étrangers privés d'une partie du plan de relance chinois - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20433 - International, jeudi, 28 mai 2009, p. 6

La Chambre de commerce européenne en Chine s'inquiète d'une poussée de protectionnisme dans le pays. Les groupes étrangers se seraient retrouvés exclus de plusieurs appels d'offres portant sur des milliards de dollars.

Le 7 mai dernier, lors d'un dîner officiel organisé à Bruxelles à l'issue d'une rencontre entre les commissaires européens et une délégation gouvernementale chinoise, Joerg Wuttke, le président de la Chambre de commerce européenne en Chine, s'est retrouvé à la table de Wang Qishan, le vice-Premier ministre chinois, pour évoquer les dossiers économiques divisant les deux partenaires. « Nous avions un gros rapport de 200 pages listant toutes les difficultés des entreprises européennes en Chine. Ils avaient, eux, une seule page de doléances », se souvient le responsable, qui dénonce une poussée du protectionnisme en Chine.

Touchées comme leurs homologues chinoises par le ralentissement de la croissance à seulement 6,1 % au premier trimestre, les sociétés étrangères installées dans le pays attendaient beaucoup de l'impact du plan de relance de 4.000 milliards de yuans (465 milliards d'euros) promis, en novembre, par Pékin. Mais elles n'auraient pas encore toutes profité, à parts égales, de ces projets de dépenses. « Beaucoup d'entreprises nous ont signalé un rebond des commandes essentiellement au début du mois de mars. Le plan de relance a notamment eu un impact positif sur l'industrie automobile, les producteurs d'électroménager et leurs fournisseurs de composants », pointe Joerg Wuttke, qui estime que « l'économie chinoise est en train de rebondir ». Hier, Isaiah Cheung, le vice-président de Hewlett-Packard en Chine, confirmait que son groupe avait effectivement profité ces dernières semaines d'une amélioration de la consommation dans le pays. « Si le plan de relance ne va pas entraîner une poussée de commandes pour Alstom, il va permettre de garantir que les précédents projets ne déraillent pas faute de financements », confiait, il y a quelques jours, Philippe Joubert, le président d'Alstom Power.

Procédures opaques

Dans nombre de secteurs, cette reprise chinoise tarde pourtant à gagner les entreprises étrangères, qui se retrouvent exclues des projets lancés par le gouvernement. « La Chine n'ayant toujours pas validé l'accord sur les marchés publics de l'Organisation mondiale du commerce, les procédures d'appel d'offres sur des marchés publics d'infrastructures ne sont toujours pas transparentes. Les étrangers se retrouvent très facilement disqualifiés sur des critères techniques », regrette Joerg Wuttke. Aucun groupe étranger, et notamment pas les géants du secteur que sont Suzlon, Vestas ou REpower, n'a ainsi été sélectionné dans les tout derniers grands projets éoliens conduits par la puissante Commission nationale chinoise pour le développement et la réforme (NDRC). « Le cas le plus récent qui nous préoccupe concerne un contrat portant sur 5,2 gigawatts d'électricité qui était estimé à 5 milliards de dollars », détaille le président de la Chambre européenne de commerce en Chine.

Restant habituellement discrets sur leurs déboires dans le pays de peur d'offusquer les autorités centrales, les groupes frustrés n'ont que peu commenté ces derniers jours cette poussée de protectionnisme. A la mi-mai, Paulo Soares, le directeur exécutif de Suzlon en Chine, regrettait toutefois publiquement la limitation d'accès aux grands marchés du pays, qui a pourtant imposé aux groupes étrangers de travailler à partir d'usines implantées dans le pays. « Nous pensons que les producteurs internationaux pourront accéder au maximum à 35 % du marché », prévenait-il avant d'appeler Pékin à « laisser faire le marché ».

Inquiet de l'impact social de la crise, qui aurait déjà coûté leur emploi à plus de 20 millions de travailleurs migrants, les autorités centrales et locales chinoises, qui alimentent l'essentiel du plan de relance, tendraient à protéger au maximum leurs marchés du travail et oublieraient leur promesses d'ouverture faites lors de leurs déplacements dans les capitales occidentales. Ayant déjà fermé aux étrangers plusieurs grands secteurs qualifiés de « sensibles » (télécoms, médias, une partie de la finance...), elles n'hésiteraient plus à compliquer l'accès à des marchés réputés moins « politiques ». Fin avril, une nouvelle loi postale a ainsi interdit aux groupes UPS, DHL, FedEx ou encore TNT de distribuer du courrier express à l'intérieur du territoire chinois. Pékin avait encore évoqué sans plus de précision des « raisons de sécurité ».

YANN ROUSSEAU

PHOTO - Yang Jiechi, ministre des affaires étrangères lors de son discours au sommet Chine-Europe à Hanoi, le 25 mai 2009 / Reuters

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Chine : nouvelles mesures de soutien aux entreprises exportatrices

Les Echos, no. 20433 - International, jeudi, 28 mai 2009, p. 7

Pékin a décidé, hier, de nouvelles mesures de soutien pour les entreprises exportatrices, durement frappées par la baisse de la demande étrangère due à la crise financière et économique internationale, ont rapporté les médias d'Etat. Lors d'une réunion présidée par le Premier ministre Wen Jiabao, le gouvernement a notamment fixé pour 2009 un objectif de 84 milliards de dollars d'assurance-crédit pour les exportations et de 10 milliards de crédits à l'exportation, selon la télévision officielle CCTV. Il s'est également engagé à maintenir un yuan « fondamentalement stable » à un niveau « raisonnable et équilibré » pour aider les entreprises qui exportent.

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DERNIÈRE IMAGE - Nancy Pelosi est en Chine

La présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, a rencontré le Président et le Premier ministre chinois ainsi que Li Zhaoxing, ancien ministre des affaires étrangères qui lui montre la voie sur la première photo.






PHOTO - Reuters et Getty Images

Vingt ans après, les dirigeants français ont oublié Tiananmen

Libération, no. 8723 - Monde, mercredi, 27 mai 2009, p. 11

Seules des ONG commémoreront la répression de Pékin.

A une semaine des commémorations du vingtième anniversaire de la répression sanglante du mouvement étudiant de la place Tiananmen, qui doivent se dérouler le 3 juin sur le parvis des droits de l'homme du Trocadéro, à Paris, le courage semble faire défaut à la classe politique française. «Presque tous les hommes politiques qui avaient manifesté leur révulsion au lendemain de la répression sanglante du mouvement de la place Tiananmen à Pékin [dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, ndlr] se sont défilés sous un prétexte ou un autre et ne participeront pas», déplore Marie Holzman, la présidente de Solidarité Chine, l'une des associations organisatrice de l'événement (1).

Selon les sources, entre 700 et 2 500 personnes avaient été tués lors du massacre, et des milliers d'autres emprisonnées. «Un pays qui tire sur sa jeunesse et ne respecte pas les droits élémentaires et la liberté est un pays auquel le monde entier doit s'opposer», plaide Pierre Bergé, cofondateur de la maison de couture Yves Saint Laurent et généreux mécène de la cause de la démocratie en Chine. Dans une conférence sur la mémoire de Tiananmen qui s'est tenue hier au Grand Palais, il a rappelé qu'il a «renoncé à faire du business avec la Chine» après Tiananmen et a fustigé le «cynisme des industriels lâches» qui investissent en Chine : «Ils ont des intérêts, mais pas de convictions.»

A ses côtés, un rescapé de Tiananmen, Zhang Jian, a raconté les circonstances dans lesquelles il avait été blessé sur le pourtour de la place dans la nuit du 3 juin 1989. «Les soldats ont fait feu sur notre groupe. Trois de mes camarades ont été tués.» Zhang Jian a gardé pendant vingt ans une balle dans la jambe, qui a été extraite récemment dans un hôpital européen. Victimes de la propagande, les jeunes Chinois d'aujourd'hui, dit-il, refusent de croire que l'Armée populaire ait pu tirer sur les étudiants. «Il fallait que je leur fasse tâter ma blessure pour les convaincre... Malgré tout, seulement 5 % d'entre eux changeaient d'avis», déplore-t-il. Un autre acteur du mouvement étudiant, Zhou Qing, a purgé plus de deux ans et demi de prison. Il a relaté les terribles conditions dans lesquelles vivaient les étudiants condamnés aux travaux forcés. Parfois âgés de seulement 16 ans, ils étaient systématiquement violés par des détenus de droit commun.

(1) Avec Reporters sans frontières, Amnesty International, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, la Ligue des droits de l'homme et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture.

ÉRIC LANDAL

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La déclaration de guerre de la Corée du Nord - Alexandre Adler (3/3)

France Culture - Chronique internationale, mercredi 27 mai 2009

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C’est exactement le terme qui est employé par Radio Pyongyang. Il n’y a donc aucune raison de le changer : la Corée du Nord s’est déclarée en état de guerre. C’est-à-dire qu’elle met fin à l’armistice qui a été signé en 1953 avec la Corée du Sud et considère que l’adhésion de la Corée du Sud (mais cela avait été déjà dit officiellement par la Corée du Nord depuis plusieurs mois) à l’initiative américaine anti-prolifération – c’est-à-dire le resserrement des liens, entre le gouvernement sud-coréen actuel, les États-Unis et le Japon, est un acte de guerre auquel la Corée du Nord vient de répondre.

Alors, évidemment, à partir de là, on peut se poser la question de savoir ce qui va se passer. Des actes de guerre, la Corée du Nord connaît ça très bien. Par exemple, en 1966-1967, au début de la guerre du Vietnam, et en solidarité avec ses alliés vietnamiens, la Corée du Nord a multiplié ses actes de guerre et de sabotage sur le territoire de la Corée du Sud, attaquant des patrouilles américaines, engageant des actions de commando, et puis capturant un navire espion américain… Ce sont des choses qui se sont déjà produites.

Vis-à-vis de la Corée du Sud, des actes de guerre n’ont pas manqué non plus. Le plus spectaculaire ayant été la pose d’une bombe à Rangoon, la capitale de la Birmanie, qui aurait dû liquider la totalité des visiteurs sud-coréens, le Président, le Premier ministre et la moitié au moins du gouvernement birman. L’opération fut arrêtée de justesse, mais fit pas mal de victimes. Bombes dans les avions, attaques non motivées dans la ligne de démarcation. On a eu droit à tout. Les Nord-coréens, ça ne peut pas être pire.

À moins bien sûr, qu’ils aient l’intention d’envahir la Corée du Sud, mais tout indique que s’ils avaient eu cette intention, précisément, ils n’auraient pas déclaré la guerre. La dernière déclaration de guerre remonte à 1941 dans l’histoire. C’est celle du Japon aux États-Unis. L’ambassadeur Nomura, de la famille de banque qui était d’ailleurs à Washington, ayant été prévenu par une erreur de transmission technique un peu trop tard, est arrivée au département d’État pour déclarer la guerre au moment où déjà Pearl Harbour avait été touché. Enfin, ce genre de choses arrive. Ce qui est certain, c’est que la déclaration de guerre n’est pas un acte immédiat, mais elle constitue un climat.

Alors, que veulent les Nord-coréens ?
Probablement, une reprise en main interne de leur société par l’armée. S’il y a acte de guerre, c’est plutôt une sorte de putsch militaire auquel on assiste en direct aujourd’hui qui consiste finalement à proclamer la totale soumission de la société nord-coréenne aux exigences de l’armée.

Est-ce contre Kim Jong-Il ou avec lui ?
Ce serait plutôt prudent de dire qu’en tout cas Kim Jong-Il semble associé à ce développement, mais qui arrive à un moment où il est affaibli personnellement. Deuxièmement, c’est un acte suicidaire que cette montée aux extrêmes. Déjà, il y a deux mois, les Nord-coréens avaient fermé les entreprises mixtes sud-coréennes qui existaient. Donc, ils s’étaient préparés à cette montée aux extrêmes. Il semble bien au fond la crainte révérencielle des Nord-coréens, c’est une entente entre la Chine et le Japon. Et il est vrai que depuis la crise, celle-ci s’est rapprochée.

Dans la logique paranoïaque de Kim Jong-Il, il est la première victime d’un rapprochement sino-japonais. La Corée du Nord a toujours misé sur une Chine hostile à l’Occident et sur un Japon aligné sur les États-Unis, les Coréens du Sud comme du Nord n’aimant guerre le Japon dont ils gardent de mauvais souvenirs.

Est-ce que dans cette logique paranoïaque, les Nord-coréens vont précipiter une crise qui effectivement pourrait avoir cette conséquence ? C’est la grande question que je me pose ce matin. Est-ce que Kim Jong-Il dans sa folie, dans sa maladie, les généraux nord-coréens dans leur débilité, ne sont pas en train de mettre sur pied la plus grande alliance du 21e siècle : l’alliance de Pékin et de Tokyo ?

mercredi 27 mai 2009

La Corée du Nord (suite) - Alexandre Adler (2/3)

France Culture - Chronique internationale, mardi 26 mai 2009

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On sait bien que c’est une idée que Jacques Lacan avait développée : la meilleure analyse vient dans «l’après-coup». Effectivement, hier la Corée du Nord a fait exploser une première bombe atomique et puis, dans la nuit, elle en a refait une seconde. Alors, c’est un «après-coup» à tous égards, et on commence à mieux comprendre que le Président Barack Obama est devant sa première crise mondiale. Et il ne l’attendait évidemment pas là. Henry Kissinger me disait il y a longtemps : « Il y a une moyenne de deux crises et demi pour chaque mandat de quatre ans ». Et il pensait que Clinton jusqu’ici avait échappé à tout et que c’était statistiquement impossible que ça continue. D’ailleurs, il y a eu le Kosovo.

Ici, c’est une grande crise parce que la Corée du Nord avait réussi en marchant à reculons, a donné le sentiment qu’elle allait vers un démantèlement de son programme nucléaire et elle vient de décider, au fond depuis un an et demi, qu’il n’en serait rien. Et peut-être, et c’est là où le Président Obama est obligé de réagir avec plus d’énergie qu’il ne l’avait initialement imaginé, parce que les Nord-coréens se sentent à peu près garantis que Washington n’aura pas de réactions trop fortes, et pour ce qui est du Japon, de la Chine et pour ne pas parler de la Corée du Sud, ils pensent pouvoir s’en charger.

Alors, il faut leur démontrer que c’est une erreur. Et la démonstration ne passe pas par le Japon, elle ne passe pas par la Corée du Sud, elle passe par la Chine. Et cela nous oblige d’ailleurs à revoir l’importance et la complexité des rapports entre la Chine et la Corée du Nord. Après tout, pour les dirigeants chinois aussi, cette affaire est un test. Ils ont d’ailleurs voté dans l’unanimité des sanctions contre la Corée du Nord. Ils ne cherchent absolument pas pour l’instant à défendre à minima comme un avocat commis d’office qu’ils ont été à de nombreuses reprises. Mais, ce n’est pas tout.

En fait, il faut comprendre que les dirigeants chinois, du moins ceux de la vieille génération révolutionnaire – Deng Xiaoping en particulier – détestait intensément la Corée du Nord. Il la détestait d’abord parce qu’elle était une espère de butte-témoin du maoïsme, une période qu’ils avaient détestée à leur tour, et quand par exemple, Deng Xiaoping s’était à Pyongyang et publiquement devant ses hôtes inquiétés du prix que pouvait coûter les statues géantes du dictateur, il avait manifesté tout le mépris que lui inspiré le régime. Il faut dire aussi que Kim Il-Sung avait d’abord était pro-soviétique, c’était même un officier semble-t-il des gardes frontières soviétiques et qu’il avait soigneusement éliminé dès le début de la guerre de Corée le grand ami de Mao Zedong, qui s’appelait Mu Jong et qui aurait dû être le véritable leader des communistes coréens et qui était d’ailleurs un homme plus ouvert.

Donc, les Chinois vont à reculons dans la défense de la Corée du Nord, mais longtemps le dogme était qu’on ne pouvait pas avoir comme ça une régression du socialisme aux frontières de la Chine sans conséquence gravissime. Une Corée du Sud, allié aux États-Unis, frontalière de cette région stratégique de la Mandchourie était impensable. Soit. De toute façon, personne ne demande la disparition de la Corée du Nord, mais des sanctions. Et c’est là où effectivement la Chine a joué en souplesse et en force.

Bien sûr, le vote des sanctions ne mettra pas la Corée du Nord à genoux. Mais en revanche, elle peut créer un parti de la paix en Corée du Nord, un parti de la paix qui évidemment ne être composé que de militaires et de policiers. Et les seuls qui ont accès à ces gens-là, ce sont les Chinois. Par conséquent, on va voir ce que la Chine va vouloir faire. Elle peut jouer, et c’est le bon sens cynique qui le lui commande, finalement les arrêts de jeu en laissant le Japon s’enfermer, en laissant la crise pourrir, en prenant à minima des gestes symboliques au Nations Unies, mais évidemment, à ce moment-là, la Chine perdra beaucoup. Et elle perdra surtout, ce n’est pas tellement les États-Unis qui n’ont pas les moyens de s’opposer à elle, mais c’est le Japon.

Le Japon s’est rapproché spectaculairement de la Chine avec la Corée du Sud à la faveur de la crise. Il s’agit d’un développement prometteur. Celui-ci pourrait s’arrêter net si la Chine, une fois de plus choisissait la carte nord-coréenne.

La Corée du Nord qui redevient nucléaire - Alexandre Adler (1/3)

France Culture - Chronique internationale, lundi 25 mai 2009

tilidom.com

Oui, elle redevient. Évidemment, ce n’est pas comme l’Arlésienne. La Corée du Nord a conçu une arme nucléaire dans le courant des années 90. Le projet remonte même aux années 80. Des aides diverses sont venues épauler les Nord-coréens et on le sait particulièrement aujourd’hui, le Pakistanais A. Q. Khan. Ce qui fait qu’on peut, sinon soupçonner, en tout cas envisager que la Chine a longtemps exercé une certaine complaisance sur ce programme nucléaire – ce n’est d’ailleurs plus le cas aujourd’hui.

Cette arme nucléaire nord-coréenne a été jugée inacceptable par l’ensemble de ses voisins – Chine et Russie comprise. Et, petit à petit, avec des pressions diverses, les Nord-coréens ont accepté d’y renoncer jusqu’à un certain point. Évidemment avec eux, les négociations sont difficiles. La parole signée n’est qu’une étape pour la suite d’une négociation dans laquelle une partie du contrat va être remis en cause. En gros, les propositions sont sur la table. Après avoir fait de la surenchère, George Bush a fait plutôt de la sous-enchère parce qu’il ne voulait pas être engagé sur un nouveau terrain alors qu’il donnait toute la place nécessaire au Moyen-Orient et donc, les Américains ont joué en Corée du Nord exactement la partition inverse de celle qu’ils jouent en Moyen-Orient, le multilatéralisme. Ils ne voulaient pas s’asseoir en face des Nord-coréens si les Chinois, les Russes n’étaient pas là. Et puis, finalement, cette pression a mené pas à pas et difficilement Kin Jong-Il à reculer.

Entre temps, la Corée a connu deux famines catastrophiques, un début d’immigrations en Chine qui a inquiété les dirigeants chinois, des organisations du pays considérables, des accidents mystérieux – d’explosifs notamment – qui ont fait sans doute des milliers de morts… On ne sait pas ce qui se passe réellement en Corée du Nord. On sait néanmoins que Kim Jong-Il a été malade et que cette maladie a certainement affaibli son pouvoir ou peut-être donné le pas à ceux de ces militaires qui considèrent qu’il n’y a rien à perdre et que la politique de l’affrontement est la meilleure.

Alors, il y a un phénomène nouveau dans cette affaire : c’est le rapprochement sino-japonais. Celui-ci est le résultat de la crise mondiale. On sait qu’au mois de décembre dernier, les Japonais, les Sud-coréens et les Chinois se sont rencontrés au plus haut niveau (les présidents, les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales). Ils ont quasiment décidé d’aller vers une monnaie asiatique, en tout cas un système de monétaire asiatique inspiré du défunt serpent européen avec des limites de variations, une coopération des banques centrales qui est plus forte que celle que nous avons en Europe, c’est-à-dire des aides automatiques en cas de faillites organisées, et bien entendu, tout ça, c’est très très mauvais pour la Corée du Nord.

D’ailleurs, les Nord-coréens ont envoyé un missile chantant – un de leurs missiles radiophoniques – juste au moment où le Premier ministre chinois rencontrait le premier ministre japonais, il y a de ça un an. Et ici, l’explosion fait partie d’une stratégie de perturbation. Simplement, Barack Obama fait la dure expérience que « quand on est président des États-Unis, on ne peut pas se concentrer sur un seul sujet ». Voici, que le Japon appelle à l’aide et évidemment cette violation grossière des accords précédents va nécessiter une mobilisation contre la Corée du Nord.

La Chine peine à s'extirper du piège du billet vert - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20432 - International, mercredi, 27 mai 2009, p. 7

Pékin a investi 1.500 milliards de dollars de ses réserves de change dans la dette des Etats-Unis. Le gouvernement affirme vouloir diversifier ses investissements mais se retrouve contraint d'acheter massivement des bons du Trésor américain.

Lorsque les autorités centrales chinoises, et notamment Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la banque centrale, ont remis en question, fin mars, juste avant le G20, le rôle hégémonique du dollar dans l'économie mondiale et évoqué une nouvelle monnaie de réserve contrôlée par le Fonds monétaire international (FMI), beaucoup d'analystes ont compris que le pays allait rapidement tenter de casser sa dépendance au billet vert. Ils ont pour l'instant été déçus. La Chine vient, au contraire, d'accélérer ses achats de dette américaine. Sur le seul mois de mars, elle aurait acquis 23,7 milliards de bons du Trésor américain. « Le gouvernement a bien lancé plusieurs avertissements et autres ballons d'essai, mais, concrètement, il leur est très difficile de révolutionner leur politique monétaire. Ils sont coincés », résume un expert européen.

La Chine, qui enregistre depuis le début des années 2000 d'énormes surplus commerciaux, a dû gérer l'arrivée dans le pays des colossaux flux de dollars gagnés par ses exportateurs. Pour empêcher une appréciation de sa propre monnaie, le yuan, et protéger les prix bas des productions « made in China », la banque centrale a massivement racheté ces devises qui inondent le pays. Selon les derniers calculs de Brad Setser, un chercheur du Council of Foreign Relations, elle aurait ainsi accumulé ces dernières années 1.500 milliards de dollars, sur un montant de devises étrangères total estimé à 2.300 milliards de dollars.

Pour faire fructifier cet argent, la Safe, l'organisme public de gestion des réserves de change, a massivement investi aux Etats-Unis et particulièrement dans la dette américaine. Brad Setser estime que le pays détenait ainsi, à la fin mars, près de 760 milliards de dollars de bons du Trésor américain, 489 milliards d'obligations d'agences (Fannie Mae, Freddie Mac, Ginnie Mae...), 121 milliards d'obligations d'entreprises ou encore 104 milliards de dollars d'actions américaines.

Placements risqués

Mais, avec la crise, Pékin s'inquiète pour la sécurité de ses investissements. Il craint notamment que l'envolée des déficits américains ne pousse à la baisse la valeur du dollar, et donc la valeur globale des placements de la Chine. S'il cherche bien à diversifier ses investissements, le pays a jusqu'ici peiné à trouver des marchés aussi vastes et liquides capables d'absorber ses énormes placements en dollars.

De multiples acquisitions d'actifs miniers ou énergétiques ont été annoncées, mais elles demeurent limitées par rapport au rythme d'accumulation des dollars. Les achats d'or ont été renforcés mais peinent, eux aussi, à suivre le rythme de hausse des réserves de change du pays. Ils représentent aujourd'hui moins de 2 % du montant total de ces réserves contre 4 % en 2002.

Pour casser sa dépendance au dollar, Pékin semble désormais vouloir promouvoir l'utilisation de sa propre devise dans les échanges internationaux. Depuis décembre, le pays a signé six accords d'échange de devises, impliquant 650 milliards de yuans (95 milliards de dollars), avec la Corée du Sud, Hong Kong, la Malaisie, la Biélorussie, l'Indonésie et l'Argentine. Mais, ces « swaps », pointent les experts, ne pourront pas séduire le commerce international tant que le pays n'aura pas accepté de rendre le yuan totalement convertible et ne le laissera pas flotter librement. Une perspective que refuse toujours Pékin, paniqué à l'idée de voir sa monnaie s'apprécier et son modèle économique basé sur une production bon marché s'écrouler.

YANN ROUSSEAU

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PetroChina rattrape ExxonMobil en tête des grandes valeurs mondiales

Les Echos, no. 20431 - Industrie, mardi, 26 mai 2009, p. 20

L'action du pétrolier chinois a progressé de 29 % depuis le début de l'année. Malgré la crise, la société contrôlée par Pékin continue d'investir massivement. Elle a annoncé hier l'acquisition d'un raffineur de Singapour.

Depuis quelques jours, les analystes boursiers guettaient l'évolution du cours des actions des géants du pétrole ExxonMobil et PetroChina dans l'espoir d'assister à la victoire du groupe chinois dans la course au titre de plus grande entreprise du monde. Hier, à la clôture de la Bourse de Shanghai, ils ont pu proclamer le sacre de la société contrôlée par Pékin, qui avait déjà occupé cette première place en 2007 avant la crise. Son action A, cotée sur la place chinoise, a fini en hausse de 0,24 %, à 13,10 yuans, et poussé sa capitalisation locale à 2.397,5 milliards de yuans, soit 351,4 milliards de dollars. Vendredi soir, la capitalisation de son concurrent américain, ExxonMobil, coté lui sur la place de New York, atteignait 335,9 milliards de dollars.

Les calculs de capitalisation restent confus avec les groupes étatiques chinois : la valeur des titres de PetroChina cotés sur la place fermée de Shanghai est traditionnellement supérieure à celles de ses actions cotées à Hong Kong ou New York. Mais le bouleversement du classement mondial des grandes entreprises témoigne de l'étonnant retour de santé de la place de Shanghai et de l'optimisme des investisseurs pour une industrie pétrolière chinoise choyée par les autorités centrales.

Un plan de relance massif

Convaincus que leur économie est sur le point de rebondir après un ralentissement brutal mais court, les acteurs du marché sont massivement revenus vers la Bourse ces derniers mois et ont fait progresser l'indice composite de Shanghai de 45 % depuis le 1er janvier après l'avoir fait plonger de 65 % l'an dernier. Le titre de PetroChina a, lui, progressé de 29 % depuis le début de l'année quand son concurrent américain, ExxonMobil, voyait, dans le même temps, la valeur de son action perdre 14 %.

Emportée par les discours optimistes du pouvoir qui table sur 8 % de croissance en 2009, la Bourse de Shanghai ne semble pas avoir tenu compte de la détérioration des performances de PetroChina. L'entreprise chinoise a vu ses profits reculer de 39 % sur le dernier trimestre de 2008 et annoncé une année 2009 « compliquée ». Les investisseurs veulent surtout croire que le groupe va profiter largement du massif plan de relance de 4.000 milliards de yuans déployé par le gouvernement et d'une reprise progressive de la demande pour les produits pétroliers et gaziers.

PetroChina, avancent les experts, devrait, avec une poussée de la consommation d'essence, profiter du nouveau système de fixation du prix des carburants introduit début janvier dans le pays. Alors qu'ils devaient auparavant écouler, quel que soit le prix du baril, leurs produits raffinés à des tarifs fixés par le gouvernement, les raffineurs du pays, tels que PetroChina et Sinopec, peuvent désormais lier leurs tarifications à l'évolution du cours du brut sur le marché mondial.

Anticipant une hausse des revenus de ces activités de raffinage, le pétrolier public a annoncé, hier, qu'il allait investir dans Singapore Petroleum Corp. (SPC), l'un des plus grands raffineurs de Singapour. PetroChina va, dans un premier temps, acheter 45,5 % du groupe au fabricant américain de matériel de forage Keppel, pour 1 milliard de dollars, soit une prime de 24 % par rapport au dernier cours de Bourse de SPC. Le champion chinois devrait ensuite lancer très rapidement une OPA valorisant l'ensemble de la société à environ 2,2 milliards de dollars. Singapore Petroleum vend des produits raffinés en Asie du Sud-Est et dans le sud de la Chine, une zone dans laquelle Sinopec, le grand concurrent de PetroChina, est actuellement dominant. Le 12 mai, PetroChina avait annoncé qu'il allait placer, cette année, pour 15 milliards de dollars d'obligations pour financer son expansion et sécuriser un meilleur accès aux matières premières.

Encadré : Un classement chamboulé

En rejoignant ExxonMobil en tête du classement, PetroChina confirme la montée en puissance des groupes chinois sur le terrain boursier. Le [sic] Chine compte à présent 3 de ses groupes parmi les 5 premières capitalisations mondiales : PetroChina, mais aussi la banque ICBC et l'opérateur téléphonique China Mobile. Autre changement marquant des derniers mois : la progression de Petrobras, le grand pétrolier brésilien, qui se situe désormais au septième rang boursier mondial, grâce à ses récentes découvertes de brut. Les groupes américains, eux, perdent du terrain. General Electric, en particulier, est tombé de la 3e à la 16e place mondiale en un peu plus d'un an.

YANN ROUSSEAU

PHOTO - Zhou Jiping, président de PetroChina entouré de Sun Longde, vice-président et Shen Diancheng lors d'une conférence de presse à Hong Kong en mars 2009 / Reuters

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TÉMOIGNAGE - Quand le futur empereur de Chine visitait la Suisse incognito...

Le Temps - Eclairages, mardi, 26 mai 2009

François Nordmann, diplomate suisse

Comme Zhao Zyiang (PHOTO) était un «simple» dignitaire provincial, aucun conseiller fédéral n'était tenu de le rencontrer. Il ne s'en offusqua pas.

La délégation chinoise qui arriva en Suisse le 10 février 1980 était dirigée par un haut fonctionnaire provincial, le secrétaire central du Parti communiste du Sichuan, Zhao Zyiang, dont c'était le premier voyage à l'étranger. Intéressé avant tout à visiter des projets agricoles, il était l'invité de la division du commerce du département fédéral de l'économie. Après trois jours en Suisse, sa première étape européenne, il irait encore en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Il fut accueilli par l'ambassadeur Bénédict de Tscharner, qui l'accompagnerait tout au long de sa visite en Suisse, et par le plus jeune membre du Conseil administratif de l'époque, M. Guy-Olivier Segond. A croire que les autorités s'étaient donné le mot pour confier le visiteur à leurs plus jeunes représentants, car le même scénario se reproduisit en Valais, où il fut l'hôte du magistrat quadragénaire Bernard Comby.

A Fribourg, et sans doute en vertu de la même règle, je fus chargé de le recevoir au nom du Conseil communal où je siégeais jadis. J'avais en plus mission de lui parler, au soir d'une journée bien remplie, des particularités du fédéralisme suisse.

Je garde le souvenir d'un personnage jovial, intelligent, disert, intéressé à ce qu'on lui rapportait. A soixante ans, il ne donnait pas signe de la moindre fatigue. L'interprète ne chôma pas pendant la soirée, quand l'hôte d'honneur évoqua ses expériences du Sichuan, province qui comptait alors 90 millions d'habitants, ou posait des questions sur l'économie et la vie publique en Suisse. Il échangea avec l'ambassadeur de Chine en Suisse, l'un de ses anciens compagnons d'arme, des souvenirs de la Longue Marche à laquelle ils avaient tous deux participé. J'abordai une question délicate en fin de repas: le Sichuan est connu pour abriter une population de pandas relativement nombreuse, or un zoo suisse souhaitait en obtenir une paire, et peut-être le premier secrétaire du PC pouvait-il intervenir... Il prit note avec un large sourire de ma requête téméraire et ne lui donna pas d'autre réponse, du moins ce soir-là.

Comme Zhao Zyiang était un «simple» dignitaire provincial, aucun conseiller fédéral n'était tenu de le rencontrer. Il ne s'en offusqua pas, et s'entretint avec M. Paul Jolles, directeur de la Division du commerce. L'ambassade de Chine, sa délégation le traitaient avec une déférence toute particulière. Il donna une réception à Genève avant de quitter la Suisse le surlendemain.

En fait, protégé de Deng Xiao Ping, l'homme fort de la Chine, dont il partageait les idées de réforme et d'ouverture, Zhao Zyiang fut nommé huit mois plus tard premier ministre de Chine. Il succédait à Hua Guofeng, autre réformiste proche du maître mais qui avait adopté un rythme jugé trop rapide dans la rénovation de l'économie et de l'éducation. Zhao Zyiang poursuivit l'oeuvre de ses devanciers, libéralisant notamment la vie intellectuelle, se préoccupant du sort des gens plus que de l'idéologiquement correct. Il sentait la nécessité d'une démocratisation plus poussée du régime, sans sortir pour autant du cadre imparti par Deng Xiao Ping, qui avait gardé un souvenir plus cuisant de la Révolution culturelle et cherchait à prévenir tout débordement. En 1987, Zhao Zyiang fut élu secrétaire général du Parti communiste chinois, au sommet du pouvoir. C'est à ce titre qu'il prit position sur les événements de la place Tiananmen, en tentant d'éviter la répression violente du mouvement estudiantin. Il refusait de voir des «menées contre-révolutionnaires» dans les revendications des étudiants qui dénonçaient la corruption et l'inefficacité du système. Mais par là il s'opposait à son mentor, qui y décelait au contraire les prémices du chaos et de l'anarchie qui auraient emporté le régime. La scène du 19 mai 1989 où il vint parler aux étudiants dans leur campement en les informant qu'il n'avait pas pu empêcher le pire - deux semaines avant que les tanks n'écrasent les manifestants - est un symbole à la fois de son humanisme et de l'échec de sa politique. Il fut écarté du pouvoir, placé en résidence surveillée dans une vieille maison pékinoise, joua parfois au golf et dicta ses Mémoires qui viennent de paraître. Il est mort à l'âge de 85 ans en 2005.

En août 1988, me trouvant à Pékin pour le compte d'un programme de l'Unesco, je cherchai à faire signe à mon visiteur d'un soir. Il faut croire qu'il avait gardé un bon souvenir de son passage en Suisse. Absent de Pékin, livré à la torpeur estivale - à cette époque de l'année, les dirigeants sont dans leur villégiature de Beidaihe - il fit déposer un bouquet de fleurs séchées à mon hôtel, avec sa carte de visite.

Le vingtième anniversaire de Tiananmen tombe le 4 juin prochain. Tiananmen fut une étape dans le développement de la Chine, et Zhao Zyiang sacrifia sa vie politique à la conviction démocratique qui l'animait. Il faut espérer qu'un jour le régime sera assez fort pour le réhabiliter.

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La Chine s'affirme comme un grand du titane

Les Echos, no. 20431 - Marchés, mardi, 26 mai 2009, p. 28

Le potentiel chinois de production d'éponge de titane pèse pour le tiers de la capacité mondiale.

La Chine confirme son rôle de pays clef de l'éponge de titane. Son potentiel de production de 71.000 tonnes annuelles pèse pour le tiers de la capacité mondiale, chiffrée à 214.000 tonnes à la fin de 2008, en dépit de problèmes notoires de qualité. « Malgré l'impressionnante montée en puissance, la production d'éponge chinoise doit encore gagner en qualité avant de servir pour les applications critiques en aéronautique. Les travaux sont en cours puisqu'une première usine de production d'éponge « premium » devrait voir le jour en 2010 avec une capacité de 15.000 tonnes par an », développe Pierre-François Louvigné, spécialiste du titane à la Délégation générale pour l'armement (DGA).

La montée en puissance de la production mondiale d'éponge a été interrompue par la crise. Il faudra donc attendre 2012 pour voir apparaître des nouveaux projets en nombre capables de porter les capacités globales de 300.000 à 350.000 tonnes annuelles, juge l'expert.

Effort du côté de l'offre

La Chine s'impose aussi dans l'aval de la filière de production, avec des capacités doublées en fusion de lingots entre 2007 et 2008. Avec un débit potentiel annuel de 69.200 tonnes, elle occupe désormais la 2e place mondiale derrière les Etats-Unis (150.000 tonnes par an). L'effort chinois du côté de l'offre n'a portant pas bouleversé le marché mondial de titane.

« Les besoins pour le marché intérieur absorbent 70 % de la production nationale et l'importation de produits et demi-produits titane compense, en volume, les trois quarts des exportations. En 2008, la balance exportatrice nette chinoise pour les produits titane excédait à peine les 2.000 tonnes », affirme le spécialiste de la DGA.

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mardi 26 mai 2009

La Chine s'engage à se mettre au « vert » - Alain Barluet

Le Figaro, no. 20162 - Le Figaro, mercredi, 27 mai 2009, p. 12

La lutte contre la crise financière n'est pas en contradiction avec la lutte contre le changement climatique. Tel est le message que s'efforce de faire passer Xie Zhenhua, principal responsable chinois en charge du dossier climat. « La Chine sera inébranlable dans sa lutte contre l'émission des gaz à effets de serre », a déclaré hier le vice-ministre de la Commission d'État pour le développement et la réforme, présent au Forum de Paris, lundi et hier. « Nous allons concilier la croissance économique, le réajustement de notre tissu industriel, l'éradication de la pauvreté et la lutte contre le changement climatique », a affirmé Xie Zhenhua, ajoutant qu'il s'agissait d'une opération « gagnant-gagnant ». Pékin est prêt à jouer dans ce combat un « rôle actif », a dit le responsable chinois en énumérant les efforts déjà engagés par son pays, comme la fermeture d'usines obsolètes. « En 2009 et 2010, nous allons réduire de 20 % nos dépenses énergétiques », a-t-il promis, estimant par ailleurs « réalisable » l'objectif de 10 % d'énergies renouvelables dès l'an prochain. « La Chine, a-t-il indiqué, s'est déjà hissée au premier rang en matière d'énergie solaire, avec 140 millions de m² », a précisé Xie Zhenhua (PHOTO)

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Nouvelle version de la « Lettre aux catholiques de Chine »

La Croix, no. 38367 - Religion, mardi, 26 mai 2009, p. 17

Fin 2009 doit se réunir à Pékin l'Assemblée nationale des représentants catholiques chinois, qui élira le président de la Conférence des évêques « officiels ». Dans cette perspective, Benoît XVI vient de publier un compendium de sa « Lettre aux catholiques de Chine » du 27 mai 2007. Ce texte, mis en ligne en chinois hier sur le site du Vatican, vise à « faciliter la compréhension de certains points délicats », notamment sur les plans doctrinaux, pratiques et disciplinaires. Par ailleurs, à l'occasion du 4e centenaire de la mort du P. Matteo Ricci, le pape a souligné le caractère « prophétique » de sa mission.

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lundi 25 mai 2009

La générosité des banques chinoises augure une poussée des créances douteuses

Les Echos, no. 20430 - Finance, lundi, 25 mai 2009, p. 27

L'agence Fitch s'inquiète des conséquences de l'envolée des prêts en Chine et annonce une détérioration des portefeuilles des banques commerciales du pays. Les établissements auraient négligé leur gestion du risque.

A la mi-avril, c'est une étrange interview de Lin Zuoming, le directeur général du holding public chinois de l'aéronautique Avic, qui avait alerté les spécialistes du secteur bancaire chinois. Répondant aux questions du magazine « Economic Observer », le responsable expliquait qu'il s'interrogeait encore sur la manière d'utiliser les 236 milliards de yuans (25 milliards d'euros) de prêts débloqués pour son groupe par 11 banques du pays au cours des trois premiers mois de l'année ainsi que la ligne de crédit de 100 milliards de yuans (10,5 milliards d'euros) tout juste validée par l'Export and Import Bank of China.

Comme la plupart des grands groupes du pays, Avic n'a donné, ses dernières semaines, que peu de détails sur la destination réelle des fortunes débloquées par les grandes banques commerciales du pays, qui, depuis le 1er janvier, ont prêté un total de... 5.200 milliards de yuans (544 milliards d'euros) pour officiellement soutenir les plans de relance du gouvernement.

Renforcement des contrôles

Dans un rapport publié en fin de semaine dernière, Fitch a annoncé que cette incroyable envolée des crédits allait conduire, à moyen terme, à une détérioration de la qualité des actifs des grandes banques chinoises qui se seraient montrées beaucoup trop généreuses. L'agence de notation prévient qu'une forte part de ces nouveaux prêts pourrait se transformer, dans deux ou trois ans, en créances douteuses.

Selon Fitch, les banques d'Etat auraient multiplié les prêts, notamment aux entreprises publiques, pour non seulement plaire au gouvernement et aux autorités locales qui veulent atteindre 8 % de croissance en 2009, mais également pour maintenir leurs propres résultats malgré un recul de leurs marges lié à la baisse généralisée des taux. « Fitch craint que l'accent mis sur ces profits à court terme n'ait entraîné des prises de risque excessives par les banques, notamment dans leurs prêts aux entreprises, qui pourraient conduire à des pertes dans ces portefeuilles », pointe l'étude.

Charlene Chu, l'une des analystes de l'agence, note ainsi que le rythme des prêts débloqués est bien supérieur aux financements de projets prévus par le plan de relance du gouvernement et rappelle que la banque centrale vient d'annoncer qu'elle allait, elle même, enquêter sur la destination réelle de tout cet argent. « Tout n'est pas que le fait d'ordres du gouvernement, remarque Charlene Chu. Car, si c'était le cas, il saurait clairement où vont ces prêts. » La semaine dernière, la Commission de régulation bancaire chinoise (CBRC) avait annoncé qu'elle allait renforcer ses contrôles sur le parcours des prêts bancaires et s'assurer que les fonds n'étaient pas détournés à des fins spéculatives, notamment vers la place boursière de Shanghai qui, inondée de liquidités, a progressé de plus de 45 % depuis le début de l'année.

YANN ROUSSEAU

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Pékin favorise les voitures qui consomment moins - Tristan de Bourbon

La Croix, no. 38366 - Evénement, lundi, 25 mai 2009, p. 2

Dossier. Le climat au coeur des débats internationaux. Vu de Chine

La Chine encourage l'achat de petits véhicules moins gourmands en carburant, ce qui de plus avantage les marques nationales.

Cui Song déambule au milieu des voitures. Elle a profité de son samedi pour aller visiter les nombreux concessionnaires automobiles installés au bord de l'autoroute de la banlieue sud-est de Pékin. Sa voiture, achetée d'occasion il y a trois ans, multiplie les allers-retours chez le garagiste, elle réfléchit donc à s'en débarrasser pour acheter un véhicule neuf.

Elle lorgne principalement vers la marque chinoise Chery et ses modèles QQ (qui s'approchent étrangement du design de la Matiz développée par GM-Daewoo), des véhicules compacts qui ont depuis longtemps envahi les rues de Pékin. « Ces voitures sont mignonnes et, en plus, je pourrais profiter de l'aide lancée par le gouvernement pour les achats de petites voitures », lance la jeune cadre de 31 ans.

Depuis le 20 janvier, la taxe d'achat placée sur les voitures est en effet passée de 10 % à 5 % pour les modèles inférieurs à 1,6 l, qui représentaient 60 % du nombre de voitures vendues dans le pays en 2008. Le gouvernement veut en effet favoriser les voitures à moindre consommation d'essence tout en permettant la relance des ventes nationales, en forte chute depuis cet automne. Et tant mieux pour Pékin si les constructeurs chinois sont plus présents sur ce segment que leurs concurrents internationaux et donc plus avantagés par cette mesure. Du coup, les ventes nationales de voitures sont reparties à la hausse depuis le mois de janvier après avoir enregistré leur première baisse depuis 2006 en août dernier.

Premier modèle électrique pour Chery

La jeune femme hésite pourtant encore. Elle s'est renseignée sur les véhicules hybrides, qui n'utilisent pas uniquement de l'essence comme carburant. Chery vient en effet d'annoncer la réalisation de son premier modèle électrique. « Mais ils sont encore bien trop coûteux, le double d'une voiture normale, et le gouvernement n'a encore rien fait pour stimuler leurs ventes auprès des particuliers », poursuit-elle. Certaines municipalités se sont donc substituées à l'État et ont favorisé les constructeurs installés sur leur sol en accordant aux acheteurs des aides allant jusqu'à 20 % du prix des véhicules hybrides. En revanche, le nombre de stations de recharge reste bien trop limité pour permettre une utilisation pratique de ce type de véhicule.

La jeune femme ronchonne encore un peu. Elle vient de voir passer des agriculteurs dans un camion. « Le gouvernement leur a accordé de nombreuses aides, pour la revente de leur camion et pour l'achat de nouveaux véhicules moins polluants (subvention de 10 % du prix d'achat d'un mini-van ou d'un camion léger d'un cylindre inférieur à 1,3 l et 3 000 yuans (270 €) supplémentaires en cas de revente d'un ancien véhicule). Pourquoi n'y avons-nous pas droit nous aussi ? »

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Les introductions en Bourse reprendront en Chine le 5 juin

Le Monde - Economie, mardi, 26 mai 2009, p. 13

Les introductions en Bourse sur les places chinoises, suspendues depuis septembre 2008, vont reprendre à partir du 5 juin, a annoncé la Commission de régulation boursière (CSRC), le 24 mai. Elles recommenceront une fois mises au point les nouvelles règles visant à simplifier les cours d'introduction, à établir un mécanisme davantage " guidé par le marché " et à faciliter l'accès des investisseurs privés aux offres. La CSRC avait suspendu les introductions en septembre, alors que le marché était en pleine dégringolade. L'indice composite de la Bourse de Shanghaï a perdu 65,5 % sur l'ensemble de 2008, mais il a rebondi depuis le début de l'année, progressant de plus de 40 % et enregistrant l'une des meilleures performances mondiales. - (AFP.)

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DERNIER CHIFFRE - Sacs plastique

Le Monde - Environnement & Sciences, lundi, 25 mai 2009, p. 4

L'interdiction des sacs en plastique en vigueur en Chine depuis juin 2008 a économisé l'équivalent de 1,6 million de tonnes de pétrole, selon l'Association de la grande distribution chinoise. L'usage des sacs plastique a chuté des deux tiers, soit l'équivalent de 40 milliards d'unités.

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Les JO rapportent, mais pas là où l'on croit - Andrew K. Rose

Le Temps - Eclairages, lundi, 25 mai 2009

Andrew K. Rose, professeur d'économie à Berkeley, montre la corrélation entre le désir d'un pays d'ouvrir ses frontières et sa candidature à l'accueil d'un méga-événement sportif: il se sent dynamique, disposé au commerce et peut vouloir le signaler par le moyen des Jeux.

Les motifs d'accueillir un méga-événement comme les Jeux olympiques semblent souvent insaisissables aux économistes. Les avantages économiques nets sont rarement positifs; les avantages non économiques sont difficiles à mesurer. Pourtant, les pays se livrent une concurrence féroce pour accueillir ces événements. Pourquoi?

Les économistes sont habituellement sceptiques devant les arguments invoqués pour justifier les investissements engagés à l'occasion des grands événements sportifs. Sur le strict plan économique, il peut en effet sembler naïf de défendre la construction de nouveaux stades ou le financement de cérémonies grandioses. Ces événements coûtent en effet très cher: quand Londres a gagné le droit d'accueillir les JO de 2012, il a gagné le droit de dépenser 5,5 milliards de livres, une somme déjà multipliée par trois. Or, ces coûts ne sont pas compensés par les revenus gagnés pendant l'événement, et si l'économie est temporairement boostée, on peut s'interroger sur l'utilité réelle de nouveaux stades ou d'équipements moins médiatisés: la capitale anglaise a-t-elle vraiment besoin d'un nouveau vélodrome? Les cérémonies d'ouverture des Jeux de Pékin en 2008 auraient coûté à elles seules au moins 100 millions de dollars, une somme considérable quand on sait que 100 millions de Chinois vivent avec moins de 1 dollar par jour. Peut-on défendre cet usage somptuaire des deniers publics?

A vrai dire, les doutes des économistes professionnels sont rarement partagés par les décideurs et la population, qui ne regardent pas à la dépense sur ces événements. Peut-être la science économique n'arrive-t-elle pas à représenter les avantages associés à ces événements. Peut-être aussi les économistes n'en ont-ils pas repéré tous les gains.

Dans un papier récent publié avec Mark Spiegel*, nous considérons l'impact économique des méga-événements comme les Jeux olympiques ou la Coupe du monde de football en observant leur impact sur le commerce international. Or, en utilisant différents modèles, nous montrons que l'accueil d'un méga-événement a un impact positif sur les exportations du pays hôte. Cet effet est statistiquement robuste, permanent, et surtout il est élevé - avec un gain de 30% pour les pays qui ont accueilli les Jeux olympiques. Un impact aussi important amène à reconsidérer les coûts associés avec l'accueil d'un méga-événement.

Comment s'explique cet effet sur le commerce? Certainement pas, comme le voudrait le Comité olympique international, parce que le pays hôte accueille plus de touristes ou apparaît quelques semaines sur les écrans de télévision du monde entier. En fait et plus prosaïquement, l'accueil d'un méga-événement semble presque toujours associé avec une ouverture commerciale.

Au mois de juillet 2001, Pékin s'est vu confier l'organisation de la vingt-neuvième olympiade. Juste deux mois plus tard, la Chine concluait avec succès des négociations avec l'OMC, officialisant ainsi son engagement de libéraliser ses échanges. Et ce n'est pas un cas isolé. Rome s'est vu attribuer les jeux de 1960 en 1955, l'année où l'Italie a entamé les démarches qui ont abouti à la convertibilité de sa monnaie, a rejoint l'ONU, et surtout a entamé les négociations qui mèneraient deux ans plus tard au Traité de Rome créant la CEE. Les Jeux de Tokyo (1964) ont coïncidé avec l'arrivée du Japon au FMI et à l'OCDE. Barcelone s'est vu attribuer les Jeux de 1992 en 1986, un an après que l'Espagne a rejoint la CEE. La décision d'attribuer à la Corée les Jeux de 1988 a coïncidé avec la libéralisation politique du pays. La corrélation va d'ailleurs au-delà des seuls Jeux olympiques - la Coupe du monde de football s'est tenue au Mexique en 1986, année qui marqua le début de l'ouverture commerciale et l'entrée dans le GATT.

Mais n'allons pas trop vite. Il s'avère en effet que les candidatures infructueuses ont elles aussi un impact positif sur le commerce, presque aussi important en fait que celui d'accueillir les jeux. L'effet olympique sur le commerce pourrait ainsi être attribué au signal qu'un pays envoie en offrant d'accueillir les Jeux, et non à la tenue effective de l'événement.

Développons, en essayant de comprendre cette logique. Un pays qui souhaite ouvrir ses frontières se sent dynamique et il peut vouloir le signaler en offrant parallèlement d'accueillir un méga-événement. Il y a donc une corrélation: les deux effets procèdent de la même cause. Mais la relation peut être plus étroite et même signaler une stratégie: en projetant le méga-événement, ce pays crée en effet une atmosphère politique où un retour en arrière devient difficile, et ce aussi bien sur le méga-événement que sur la libéralisation. Enfin, la stratégie peut également passer par une forme de compensation: les coûts d'accueil d'un méga-événement sont généralement supportés par les secteurs de l'économie qui profitent le plus de la libéralisation du commerce; cet alignement des coûts et des avantages contribue à lier plus étroitement le méga-événement et le mouvement de libéralisation commerciale.

En tout état de cause, que l'événement procède simplement du même dynamisme que le mouvement de libéralisation ou qu'il participe d'une stratégie plus construite, l'accueil d'un méga-événement est presque toujours associé à une hausse des échanges. Il existe bien un «effet olympique» sur le commerce, mais cet effet ne vient pas, on le voit bien, de l'activité ou des infrastructures directement associées avec l'accueil des Jeux olympiques. Nos conclusions suggèrent plutôt qu'une candidature aux Jeux olympiques est un signal politique coûteux, presque toujours associé à une libéralisation en cours. Ce pourrait être bon à savoir pour un pays dont la stratégie passerait par le développement des échanges.

© Telos.

*The Olympic Effect, 2009, CEPR Discussion Paper 7248.

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